L’académie des technologies appelle à une politique ambitieuse et active de la France en Europe face à la polarisation du monde autour de la rivalité, voire du conflit Etats-Unis/Chine. Cette évolution indispensable concerne tout spécialement la politique de la concurrence et la création de champions, nationaux ou européens selon les secteurs, avec celui de l’énergie comme champ d’application prioritaire.
1) Un besoin de pragmatisme en Europe
L’Europe a changé sa politique monétaire, avec la mise en œuvre de la politique non conventionnelle de la Banque Centrale Européenne (BCE) quelques années après ce qu’avaient initié la Réserve Fédérale Américaine (Fed) et d’autres banques centrales. On le doit en particulier à Mario Draghi, à l’époque Président de la BCE. Christine Lagarde s’est résolument inscrite dans ce même sillage et la crise de la COVID a poussé la BCE encore davantage. Vu la gravité des crises à affronter, on ne peut que s’en féliciter. Désormais, pour la BCE comme pour la Fed, le défi, face aux tensions inflationnistes, est de gérer en 2022 le probable et forcément progressif resserrement monétaire, sans provoquer de krach obligataire et de remontée brutale des taux longs pouvant obérer la reprise et renchérir la charge de la dette des Etats au moment où ils doivent dépenser plus.
Le domaine de la réglementation bancaire et financière peut encore évoluer. Par exemple, une application trop stricte de la réglementation de Bâle III pénalise les banques Européennes face à leurs concurrentes internationales et américaines qui ne l’appliquent que partiellement. Ceci nous pousse à adopter les positions pragmatiques de nos principaux concurrents. Il y va de la disponibilité suffisante de financements bancaires pour nos PME et ETI pour les années à venir.
Un autre point fondamental pour réussir les transitions nécessaires concerne la politique de la concurrence. En privilégiant la protection des consommateurs, ce qui était légitime, la Commission européenne a généré certaines conséquences, notamment en interdisant certaines fusions pourtant indispensables à la compétitivité des entreprises européennes sur la scène mondiale. L’opposition faite entre l’intérêt des consommateurs et celui des entreprises n’est peut-être pas pertinent : si les entreprises européennes sont plus compétitives, elles peuvent transférer une part de leurs gains de productivité aux consommateurs, via des baisses de prix, dès lors que la compétition mondiale prévient la prise de positions monopolistiques. Cette évolution dans une direction plus favorable à la compétitivité des entreprises européennes, et à la constitution de champions qui, selon les secteurs, seront nationaux ou auront une échelle européenne, peut se faire sans modifier les traités car il suffit de changer l’interprétation donnée aux articles correspondants.
Parallèlement, la France a perdu beaucoup de terrain dans les instances européennes, et pas seulement à Bruxelles. Le Brexit et le retrait britannique seuls ne seront pas suffisant pour changer cette réalité.
L’Académie des technologies soutient totalement les efforts nationaux engagés pour que la France se donne les moyens de retrouver son rang et son influence en Europe, afin de peser sur les principales décisions dans un sens favorable à nos intérêts, car ils rejoignent l’intérêt de la construction européenne elle-même. L’enjeu est d’importance car beaucoup des défis que représentent les transitions à venir ne seront pas surmontables dans le seul cadre national.
2) Bien prendre en compte dans le verdissement des financements les dimensions des
cycles de vie et des impacts économiques et sociétaux
Le plan de relance européen de 750Md€ prévoit de consacrer 37% de ce montant à des objectifs environnementaux. Les débats à Bruxelles se sont concentrés sur le rôle du nucléaire et du gaz. Le pragmatisme veut que le nucléaire soit intégré à part entière, compte tenu de ses performances en ce qui concerne les émissions de CO2 et de la bonne maîtrise des risques. De même le gaz doit être intégré du moins à titre transitoire : il offre une flexibilité dans ses usages thermiques, et permet de pallier l’intermittence des renouvelables et de conforter la sécurité des réseaux électriques.
La taxonomie proposée par la Commission Européenne depuis plusieurs années, et soutenue par l’académie, ne se limite pas à cette approche duale pour ou contre le nucléaire et le gaz. Elle comporte plusieurs dimensions : atténuation du changement climatique, adaptation au changement climatique, utilisation durable de l’eau et des ressources, économie circulaire, prévention de la pollution et écosystèmes sains. On comprend que, dans ces conditions, le caractère ‘durable’ des projets bénéficiant du plan de relance doit faire l’objet d’une analyse fine. Il convient en priorité d’évaluer leur coût et leurs bénéfices notamment en termes de réduction de CO2, et c’est le cas. Mais il convient aussi de prendre en compte les autres dimensions de cette taxonomie Européenne. Pour ce faire, il faut mettre en œuvre des approches d’analyse du cycle de vie. Cette méthode d’évaluation normalisée (ISO 14040 et 14044) permet de réaliser un bilan environnemental multicritères et multi-étapes d’un système (produit, service, procédé) sur l’ensemble de son cycle de vie. Cette démarche est forcément plus complexe à mettre en œuvre, et il faudra encore lui ajouter la prise en compte des éléments économiques et sociétaux. L’approche par les couts est naturellement complémentaire et indispensable.
3) A la recherche de partenaires pour l’Europe
Dans ce ping-pong permanent entre les Etats-Unis et la Chine qui va rester au cœur de la géopolitique mondiale, l’Europe ne peut pas se contenter d’être simple spectatrice. Elle doit retrouver un rôle actif. Ce sera plus facile si elle développe des partenariats stratégiques avec d’autres régions du monde.
Pour des raisons historiques, culturelles mais aussi économiques et démographiques, l’Afrique pourrait être le partenaire privilégié de l’Europe. Le Sommet de Paris de mai 2021 a déjà ouvert des pistes intéressantes pour la coopération de l’UE et de l’ Union Africaine (gestion de la dette, redistribution des droits de tirages spéciaux (DTS) à l’occasion de la nouvelle allocation de DTS, promotion des investissements directs étrangers (IDE),…). L’Académie des technologies souligne l’importance du prochain Sommet UE/UA de février 2022 pour renforcer un partenariat équilibré et gagnant-gagnant entre les deux continents.
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