Où est le dynamisme économique, où se créée la richesse, quels sont les moteurs de l’innovation ? Où en sommes-nous aujourd’hui en matière de dynamiques territoriales et de dynamiques d’innovation ?
L’Académie des technologies a consacré son séminaire annuel 2017 (11 et 12 octobre) à approfondir ce sujet vital pour la France. Ce séminaire montre qu’à l’heure où la France a connu à la fois une réforme territoriale (loi NOTRe de 2015) , un développement des métropoles (loi MAPTAM de 2014), et de multiples initiatives visant à développer son potentiel de compétitivité et d’innovation, les enjeux de l’innovation dans les territoires sont toujours fondamentaux.
Une France bien placée en dépenses de R & D mais moins en matière d’innovation ?
Le tableau de bord européen de l’innovation 2018 accorde un 9e rang à la France, avec une performance proche de la moyenne de l’Union européenne, et ce sans changement notable depuis 2010. L’explication provient d’un problème d’efficacité des processus d’innovation, et non d’un déficit de moyens consacrés à l’innovation en matière de dépenses de R & D ou de capital humain (la France se classant entre la 5e et la 9e place sur les indicateurs de moyens).
– l’innovation n’est que secondairement technologique
. Les innovations sont, en effet, multiples : de rupture ou incrémentales, il est généralement admis que 20 % des innovations sont de source technique et 80 % de nature sociale, organisationnelle, commerciale, marketing ou financière (Godet,2010). Les innovations reposent ainsi souvent sur la capacité à repenser des modèles économiques (
business models
), des activités économiques et sociales et des relations entre acteurs de la chaîne de valeur (par exemple
ubérisation
), plus que sur de seuls grands projets techniques. Innover nécessite d’être créatif et d’inventer mais, plus encore, d’aller en aval de la chaîne de valeur , en intégrant le design, le marketing et l’expérience utilisateur, seul et, sur tout, en réseau. Pour cela, les capacités managériales et entrepreneuriales sont essentielles.
Comment les stimuler ?
– mailler les acteurs et renforcer la valorisation. Plus que jamais l’innovation requiert la coopération entre les institutions de recherche et de formation, entreprises et autres acteurs locaux. Des actions nombreuses ont été entreprises, tant pour valoriser la recherche publique (incubateur Allègre, 1999, Instituts Carnot, 2006, Sociétés d’accélération du transfert de technologie, 2010, plateformes ré- gionales de transfer t de technologie, 2013) et mieux connecter acteurs privés et publics (pôles de compétitivité , 2004 , IRT/ITE , 2010) . Les évaluations soulignent que les résultats sont favorables lorsque les dispositifs prennent appui sur des dynamiques préexistantes (exemple de Grenoble), et tiennent compte de la nécessité d’œuvrer à long terme.
– Créer et faire croître. L’innovation peut être concrétisée par des activités nouvelles au sein des en- treprises existantes, mais aussi par de l’essaimage (spin-off) et la création d’entreprises innovantes (star t-up).
La France est désormais vantée pour être sur le podium mondial des grandes entreprises dépositaires de brevets (enquêtes Top 100 Thomson-Reuters), mais – malgré des progrès – la situation est en retrait pour le reste du tissu productif : manque de champions de taille intermédiaire et des PME encore à stimuler malgré l’impact des pôles de compétitivité.
La création de spin-off à par tir d’innovations non stratégiques pour les grandes entreprises est toujours en retrait et, plus encore , la difficulté est désormais de permettre la croissance des entreprises innovantes. En effet, alors que la France apparaît désormais comme un acteur important pour la création d’entreprises innovantes, celles-ci demeurent de petite taille (2 à 3 salariés). Trop peu de licornes, c’est-à- dire les entreprises de moins de 10 ans dont la valorisation dépasse le milliard de dollars, sont françaises. Est-ce gênant ? Non, si les innovations des start-up contribuent à de la création d’activité en France. Oui si les start-up finalisent leur développement à l’étranger… Permettre le développement des spin-off et start-up en France est alors aussi important que de susciter leur création
Comment améliorer l’efficacité du système français d’innovation ?
La dimension territoriale est centrale
L’innovation repose sur la capacité des acteurs locaux – des écosystèmes – à se mobiliser pour construire des projets innovants. Stimuler l’énergie des entrepreneurs est essentiel mais, pour cela, construire des coopérations entre les acteurs locaux – collectivités, entreprises, centres de recherche et de formation – est non moins crucial. En outre, l’accent sur la Région est renforcé par les réformes nationales (réformes des CCI, loi NOTRe de 2015) et les politiques européennes (Smart Specialization Strategy).
Métropolisation (une tendance) ou métropolarisation
Les métropoles, ces aires urbaines de plus de 500 000 habitants constituent des acteurs essentiels des régions. Or les dernières années ont connu un phénomène nouveau : la métropolisation croissante des activités. L’aire urbaine de Paris et la douzaine de ces aires urbaines régionales connaissent à la fois une croissance plus for te de leurs activités, et comptent plus d’emplois à potentiel que le reste des territoires (cadres, ingénieurs, etc. sont à 61 % localisés dans ces métropoles). S’interroger sur le rôle des métropoles dans les dynamiques d’innovation est alors nécessaire.
Cependant, une analyse précise soulève des interrogations multiples sur la métropolarisation, vue comme une tendance homogène et inéluctable. D’une part, des disparités fortes sont présentes entre les métropoles : elles diffèrent par leurs spécialisations, mais aussi en termes de performance ! Occitanie ou Nouvelle Aquitaine contrastent ainsi fortement avec la Normandie, le Grand Est ou les Hauts de France, moins dynamiques. D’autre part, les relations au sein des métropoles, entre centre et périphérie, sont diverses.
Au-delà d’une homogénéité imaginée entre les métropoles, les trajectoires divergent : certains territoires, à la périphérie ou à l’extérieur des métropoles, maintiennent un dynamisme notable (exemple de la Vendée ou du Bressuirais). Comprendre la façon de créer ou de stimuler les territoires innovants est alors nécessaire .
Ce séminaire est revenu – sans exclusive – sur quatre acteurs et initiatives qui sont cruciaux dans cette dynamique :
– Les pôles de compétitivité : plus de 10 ans après leur création, les 67 pôles de compétitivité semblent désormais faire la preuve de leur impact sur les dépenses de R & D, et avoir un effet positif sur les PME qui s’y affilient. L’enjeu du passage au marché est désormais en première ligne ;
– Le rôle des chambres de commerce et d’industrie : acteurs centraux du développement économique local, les 150 établissements qui forment le réseau des CCI ont connu à la fois une réforme de leur financement et de leur fonctionnement. Elles apparaissent plus que jamais comme le go between entre les différentes entités du tissu économique, les accompagnateurs des entreprises locales, tout en ayant une activité de formation notable (620 000 personnes formées chaque année par leurs 500 établissements de formation) ;
– Le rôle des universités et des écoles d’ingénieurs : depuis la loi Allègre et la loi Pécresse sur l’autonomie des universités, le système français d’enseignement supérieur est engagé dans le développement des activités de valorisation de la recherche, tout en connaissant des refontes et réformes régulières (fusions, communautés d’établissements COMUE) ;
– Le rôle du système de formation professionnelle est essentiel à la fois pour les salariés, conduits à se former tout au long de la vie, et pour les entreprises , en quête de compétences . Ce système de formation professionnel est au cœur de réformes qui conduisent à penser son articulation aux besoins régionaux de formation.
Enfin, le dernier chapitre a permis de situer les travaux conduits dans une perspective internationale, en soulignant, d’une part, combien les dynamiques de création de richesse et de répartition des revenus identifiées au niveau français, sont également présentes au niveau européen et, d’autre part, en montrant comment la Flandre a été en mesure de renforcer sa dynamique territoriale d’innovation ces dix dernières années.