L’Académie des technologies rappelle le besoin d’indicateurs plus fins allant « au-delà du PIB », et
elle appelle à l’accélération des travaux sur cette question. Elle souligne l’intérêt qu’il y aurait à
s’appuyer en la matière sur les critères dits « ESG » (pour environnementaux, sociaux et de
gouvernance) et leur déploiement dans les entreprises. Convaincue de la nécessité de dépasser
l’opposition entre croissance et décroissance et de concilier économie et écologie, l’Académie des
technologies prône une croissance durable et soutenable avec la prise en compte du développement
durable et des enjeux de long terme dans la stratégie des entreprises.
1) Des progrès nécessaires dans la mesure et dans les indicateurs
Depuis le rapport de la Commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social de 2009 proposant d’aller « au-delà du PIB », peu de progrès ont été réalisés. Alors qu’il nous faut mieux intégrer économie et écologie, le PIB reste, faute de mieux, la référence et l’indicateur privilégié. Ce qui amène à négliger beaucoup d’aspects qualitatifs, aux conséquences quantitatives, résumés par le sigle ESG.
Par ailleurs, ne disposant pas des mesures pertinentes de l’inflation, nous ventilons mal le PIB nominal (quant à lui bien connu) entre volume et prix, ce qui fausse la mesure de la productivité. Ceci s’applique aussi bien à la productivité du travail qu’à la productivité globale des facteurs de production. De ce fait, il est difficile de se prononcer sur l’hypothèse d’une tendance au ralentissement des gains de productivité qui a été mise en avant par les partisans de la thèse de la « stagnation séculaire », autrement dit annonçant une période prolongée de faible croissance économique. Ce sont les innovations au sens le plus large – innovations technologiques, de produits, d’organisation – qui devraient permettre d’échapper à ces prévisions.
L’indispensable prise en compte des innovations complique le problème de la mesure. Ainsi le progrès technique qui se traduit par des gains de productivité dans les entreprises se manifeste peu dans les statistiques économiques. Le paradoxe de Solow – « l’influences des ordinateurs se retrouve partout sauf dans les chiffres des statistiques de productivité » – est constamment présent, mais il est encore plus prégnant avec la nouvelle vague d’innovations. Après Internet, ce sont désormais l’IA, la blockchain… qui sont « partout sauf dans les statistiques », qu’il soit question de comptabilité nationale ou de comptabilité privée.
L’Académie des technologies souligne à nouveau l’indispensable aggiornamento des indicateurs et des statistiques pertinents. Parce que le défi est mondial, il doit être relevé le plus vite possible à l’ONU, à l’OCDE et à la Commission européenne.
2) Les réformes indispensables pour les perspectives à long terme de la croissance
La croissance de 2021-2022 est et sera pour l’essentiel une croissance de rattrapage post-Covid. A long terme, la croissance effective ne peut guère s’écarter de la croissance potentielle, force de rappel déterminée pour l’essentiel par des facteurs d’offre (démographie et quantité de travail, investissement, productivité…). La croissance potentielle en France comme dans la zone euro étant déjà faible avant la crise sanitaire, entre 1 et 1,5% par an, elle ne dépasse probablement pas 1% à présent en France.
L’Académie des technologies considère que, nonobstant les contraintes nées de l’échéance présidentielle de 2022, il est fondamental de poursuivre et d’accélérer les réformes structurelles qui permettront dans la durée de relever croissance potentielle et croissance effective afin de réduire le chômage structurel qui touche la France. Parmi les réformes structurelles à privilégier, l’Académie insiste sur une politique plus ambitieuse de l’innovation et de la R&D, sur l’éducation et la formation (initiale et tout au long de la vie) ainsi que sur la réforme des retraites toujours repoussée mais incontournable.
3) Pour une croissance durable et soutenable
L’Académie des technologies soutient qu’il ne faut pas se laisser enfermer dans le débat croissance/décroissance, qui renvoie à une vision simpliste des relations entre l’économie et l’écologie.
Nous avons besoin de croissance pour créer suffisamment d’emplois et pour mieux affronter la difficile
mais incontournable question des inégalités. Mais, pour lutter contre le changement climatique, nous
avons besoin d’une croissance territorialement durable – avec une nouvelle politique d’aménagement
du territoire -, économe en émission de gaz à effet de serre. Ce qui compte, pour l’entreprise comme
au plan macro-économique, c’est de se référer aux critères ESG, donc de ne pas en rester aux seuls
critères environnementaux. Et ce d’autant plus que ces critères ESG s’inscrivent dans le droit fil des Objectifs de Développement Durable (ODD) au plan mondial, sur lesquels l’Académie a proposé une
méthodologie pour améliorer leur utilisation dans l’analyse de politiques publiques.
L’Académie souligne aussi l’intérêt, pour le tissu économique et pour le pays, de multiplier les entreprises à mission telles qu’organisées par la loi Pacte et les nouveaux textes mis en application.
Ces nouveaux statuts inscrivent l’activité de l’entreprise dans le temps long et dans la démarche englobante de l’ISR (Investissement Socialement Responsable) et des critères ESG.
La croissance devra être à la fois durable et financièrement soutenable. Cette dernière exigence renvoie à la question du financement de la transition énergétique et à la soutenabilité des dettes – publiques et privées – accumulées. L’Académie rappelle que, dans la durée, la notion de dette soutenable renvoie à l’écart entre taux de croissance et taux d’intérêt, et dépendra donc directement des différents scénarios envisageables pour les taux d’intérêts à l’horizon des dix prochaines années.