Avis de l’Académie des technologies
Voté en séance le 4 novembre 2015
L’Académie des Technologies, depuis sa fondation, aborde dans ses rapports, ses recommandations ou ses avis les relations entre les technologies et les aspects économiques, sociaux et environnementaux des activités humaines ; tel est le cas du réchauffement climatique et de ses conséquences.
La COP 21 marque une étape importante dans la construction d’une politique mondiale dans le domaine du climat, mais elle ne constituera en rien la fin d’un processus qui s’écoulera sur de nombreuses années. Les réflexions et travaux de l’Académie des Technologies sont fondés sur les synthèses du GIEC car rien ne lui permet de dire qu’elles ne sont pas fiables. La teneur des gaz à effets de serre dans l’atmosphère ne cesse d’augmenter ; ainsi celle du CO2 est passée de 285 ppm au début de l’ère industrielle à 400 ppm aujourd’hui et continue à augmenter rapidement. L’Académie des Technologies admet l’origine anthropique de cette croissance et de ses effets à toutes les échelles, locales, régionales, nationales, continentales, maritimes, océaniques et planétaire.
Cet avis a pour objectif d’annoncer les grandes lignes d’un rapport, fruit d’un travail approfondi de l’Académie dont une version provisoire est déjà disponible sur son site ; elle sera finalisée à l’issue de la COP 21. En effet, au cours de l’année 2016, sous présidence française, l’attention se portera sur la mise en œuvre des décisions de la COP 21.
Les effets du changement climatique commencent déjà à se manifester et seront de plus en plus nombreux et visibles dans les décennies à venir. Le réchauffement a commencé et les scénarios les plus optimistes prévoient une augmentation minimale de 2°C d’ici 2100 si l’on réduit dès aujourd’hui de façon drastique les émissions de CO2. Il sera accompagné d’une montée des eaux. Les conséquences concernent pratiquement toutes les activités humaines : agriculture et foresterie, industrie, bâtiment, énergie, urbanisme, activités côtières, santé, alimentation, accès à l’eau, transports, bio-économie, etc. Ces différents aspects sont pris en compte dans le texte de l’Académie.
L’Académie s’est refusée à avaliser deux attitudes opposées conduisant à l’inaction : celle des climatosceptiques selon lesquels l’activité humaine n’y serait pour rien et donc que tout effort pour réduire les émissions serait inutile, et celle des prédicateurs de l’apocalypse pour qui rien ne pourra arrêter la catastrophe finale. Deux axes doivent guider simultanément les actions : d’une part le suivi, la maitrise et la réduction des émissions de gaz à effets de serre ; d’autre part la recherche et la mise en place de solutions permettant de remédier au maximum aux conséquences négatives et de tirer profit au mieux des quelques conséquences positives.
Les réflexions et recommandations de l’Académie sont cohérentes avec les objectifs de l’Europe en vue de la COP 21, à savoir une réduction de 40% des émissions en 2030 par rapport à 1990. Elles abordent les différentes échelles géographiques et un large spectre des activités humaines concernées. Elles s’inscrivent dans la réalité, à savoir que la technologie peut et doit jouer son rôle en interaction forte avec toutes les autres dimensions, politiques, réglementaires, économiques ou sociales. Dans certains cas, la technologie aura un rôle modeste. Ainsi, par exemple, pour aider les aménagements et les constructions en zones côtières à prendre en compte l’élévation progressive du niveau de la mer, une carte des hausses potentielles devrait être instaurée par l’État (réglementation à l’instar de la réglementation sismique). Cela constitue sans doute une priorité.
La technologie est appelée à jouer un rôle important.
En premier lieu, internet et les réseaux sociaux permettent déjà des échanges d’expériences et de réalisations entre les acteurs de terrain. Ils jouent également un rôle grandissant dans la formation qu’elle soit initiale et, surtout, continue ; les pouvoirs publics, au-delà de la formation initiale dans les lycées, CFA ou écoles, doivent encourager leur usage.
Le plus souvent, les technologies nécessaires existent et il s’agit de les mettre en œuvre en sachant qu’elles ne cesseront de progresser ; tel est le cas, par exemple des technologies pour la densification des villes ou l’utilisation optimum des systèmes de transports, en particulier avec les TIC et Internet. Dès aujourd’hui, des bâtiments neufs à zéro émission sont livrés avec des performances correspondant aux prévisions ; les solutions techniques existent pour rénover les bâtiments existants mais le financement constitue la principale difficulté, d’où l’importance de la recherche et de l’innovation à faire dans le domaine de l’ingénierie financière. Inversement, le stockage en masse du CO2 dans le sous-sol constitue une solution encore lointaine devant faire l’objet de nombreuses recherches et démonstrations pour en assurer la rentabilité, mais aussi la sécurité. Il en est de même des méthodes dites de géo-ingénierie climatique restant aujourd’hui, pour la plupart d’entre elles, au niveau de propositions conceptuelles, certaines n’abordant pas le problème à la bonne échelle, d’autres étant susceptibles de déclencher dans le système climatique des rétroactions non maîtrisables.
Les pouvoirs publics ne doivent pas compter sur des « miracles » technologiques. Les solutions pour l’atténuation et l’adaptation seront toujours une combinaison de technologies multiples qu’il faudra optimiser avec intelligence et persévérance. Pour cela, la comparaison avec ce qui se fait ailleurs dans le monde est essentielle, tout comme le développement des collaborations internationales car les problèmes sont souvent similaires. Bien entendu, les solutions doivent être adaptées aux situations locales, y compris en France. Pour libérer la créativité et l’innovation, l’Académie recommande de limiter la réglementation aux éléments essentiels et devenir aussi légère que possible. En parallèle, il est indispensable de mesurer pour connaître et agir au mieux; nombre d’outils de mesure ainsi que des méthodologies d’analyse des données et de modélisation existent déjà mais il faut les perfectionner et en développer de nouveaux.
Pour l’énergie, la maitrise de la consommation constitue la première priorité. Les technologies existent pour le bâti. Pour les transports, les économies viendront davantage d’une meilleure efficacité des différents systèmes, plus que de chaque véhicule qui doit transporter, hors systèmes ferroviaires guidés ,sous une forme ou une autre l’énergie indispensable pour le faire avancer, même s’il faut continuer à améliorer la performance des véhicules,. Certes des solutions électriques ou hybrides arrivent sur le marché ; il faut encourager leur diffusion et leurs progrès, tout en sachant qu’une nouvelle infrastructure technique sera à mettre en place. L’évolution des comportements des citoyens reste et restera un enjeu majeur.
Concernant les incitations économiques, le marché du carbone constitue un outil qu’il convient de soutenir mais son prix actuel est bien trop faible pour être efficace. Les mécanismes de régulation à mettre en place sont essentiels car il importe de diminuer l’exploitation des énergies fossiles qui resteront abondantes pendant des décennies, ou encore des siècles pour le charbon. Dans le champ de l’économie, l’Académie recommande de faire davantage de travaux de recherche sur la part des externalités pour optimiser les choix; se limiter aux seuls coûts instantanés conduit en général à de graves erreurs d’appréciation. L’Académie propose des pistes à explorer en collaboration avec d’autres organisations. Plus généralement, pour chaque mesure, il est indispensable de raisonner en bilans généralisés, de coûts et d’avantages, sur les différentes échelles tant de temps que géographiques.
Au niveau mondial, l’électricité représente encore un vecteur d’énergie minoritaire ; elle est souvent produite avec des énergies fossiles, du nucléaire et de plus en plus avec des énergies renouvelables. Son usage va se développer et sa production doit devenir de plus en plus décarbonée. L’Académie recommande, pour notre pays, un mix entre les renouvelables et le nucléaire, sachant que les premières sont intermittentes et que le stockage de l’électricité reste un sujet où l’innovation est nécessaire avec des solutions très partielles et variées, dont beaucoup se situeront au niveau local.
Il serait bien entendu absurde de ne prévoir le futur qu’avec les technologies existantes. Sans aucun doute, elles vont se perfectionner et de nouvelles combinatoires vont émerger ; des ruptures technologiques sont indispensables dans de nombreux domaines, comme, par exemple, le stockage de l’électricité ou encore dans l’agriculture ou la gestion de l’eau et des sols associés qui devront s’adapter au changement climatique. Lors de la COP 21, les Etats devraient donc s’engager à mettre davantage de moyens pour la R&D, l’innovation et les expérimentations. Il leur revient également de favoriser des outils « bottom-up » ouverts, aussi légers et simples que possible pour faciliter les collaborations entre les acteurs et les pays.