Dans un texte rendu public le 9 avril, l’Académie des sciences, l’Académie nationale de médecine et l’Académie des technologies appellent à une vigilance raisonnée sur les technologies numériques.Faisant suite à un premier avis publié en 2013, ce document fait le point, avec six ans de recul supplémentaires, sur les risques de l’usage des écrans par l’enfant et les adolescents, mais également sur ses apports en termes d’éducation et de culture notamment. Il aborde les aspects de l’addiction comportementale, de la vulnérabilité sociale, du risque développemental pour les jeunes enfants, ainsi que la question spécifique des adolescents et les conséquences médicales.
Les écrans occupent une place considérable dans la vie de chacun et plus particulièrement des enfants. Le numérique a pris une importance croissante et irréversible pour ce qui concerne l’éducation et la culture et, de façon plus générale, la vie de notre société. D’immenses intérêts économiques et commerciaux sont en jeu. Il est néanmoins apparu, au fil des années, que cette évolution avait aussi des effets délétères qui suscitent une grande inquiétude, si bien que le développement rapide de la présence des écrans dans nos vies et celle de nos enfants amène chacun à s’interroger autant sur les usages qu’il en fait que sur le temps qu’il y passe.
Une des principales questions qui se posent est de savoir si l’utilisation excessive des écrans peut engendrer une véritable addiction comportementale. Cette notion doit être abordée avec précaution car elle répond à une définition médicale précise, réservée à des pathologies particulièrement lourdes. En outre, ces addictions comportementales caractérisées sont souvent associées à des troubles psychiatriques comorbides tels que dépression, anxiété, phobies ou troubles de la personnalité. L’appréhension de cette question est compliquée chez l’enfant et l’adolescent en raison de la diversité des contextes psychologiques et des situations.
On sous-estime généralement le rôle des vulnérabilités sociales, qui interfèrent de façon majeure dans le rapport aux écrans. En effet, tous les enfants et adolescents ne sont pas placés dans des contextes familiaux, culturels et sociaux équivalents et les conséquences du mauvais usage des écrans apparaissent d’autant plus sérieuses que l’enfant est en situation de vulnérabilité : l’absence ou l’insécurité de l’emploi, les difficultés matérielles de la famille, une trop grande distance aux services éducatifs, sociaux ou médicaux, un contexte culturel appauvri, sont autant de facteurs qui peuvent rendre difficile, voire inaccessible, la compréhension du numérique, l’éducation aux usages des écrans, la distance critique et l’indispensable autorégulation.
On observe chez certains jeunes enfants (âgés de moins de 3 ans) une surexposition importante aux écrans, véritable mésusage en termes de temps consacré. D’un usage récréatif à un usage utilitaire, on passe à un usage à visée exclusivement « calmante », proposé puis maintenu par les parents.
Fasciné par les bruits et les lumières vives, totalement passif, le très jeune enfant peut apparaître comme déjà victime d’un trouble comportemental : surexposition chez l’enfant « scotché » à l’écran et réactions de colère lors du retrait.
La question est posée du retentissement de ce comportement sur le développement psychomoteur et relationnel du jeune enfant, ainsi que sur ses capacités d’apprentissage. Indépendamment de la réponse à cette question très préoccupante, il est difficile de départager ce que serait, d’une part, la possible nocivité intrinsèque des écrans pour les jeunes enfants, et d’autre part des pratiques parentales inadaptées dont la gestion des écrans ne serait qu’un aspect parmi d’autres. L’objectif n’est pas uniquement de limiter l’accès aux écrans, sauf, dans une large mesure, chez les plus jeunes enfants, mais de toujours en accompagner une utilisation raisonnable et raisonnée.
Chez l’enfant plus âgé, et plus particulièrement chez l’adolescent, le problème est tout autant celui du contenu que celui de la quantité. En particulier, la facilité d’accès à des scènes violentes ou pornographiques constitue un danger.
Les réseaux sociaux permettent un élargissement des possibilités de communication et un soutien contre la solitude. À ce titre ils peuvent être considérés comme positifs. En même temps, ils sont une source d’inquiétude chez l’adolescent, notamment en raison des risques de désinhibition de la communication et de harcèlement facilités par la possibilité de l’anonymat. Cela est aggravé par les stratégies des réseaux, visant à retenir l’attention des utilisateurs et à en obtenir toujours plus d’informations susceptibles d’alimenter des bases de données.
Les jeux vidéo représentent un autre motif d’inquiétude, largement médiatisé. On peut se poser la question de la violence véhiculée par certains d’entre eux, mais aussi de l’absence de frontière absolue entre les jeux de casino et certains jeux vidéo, d’autant plus que certains éditeurs, utilisant les services de psychologues et de spécialistes des neurosciences, introduisent des procédés issus des jeux de hasard et d’argent.
Cependant, si, dans des cas extrêmes, le basculement dans l’addiction aux jeux vidéo peut se produire sous l’effet conjoint de facteurs de vulnérabilité personnelle ou sociale et du caractère particulièrement addictogène de certains jeux, il convient de garder à l’esprit que la très grande majorité des joueurs trouve dans cette distraction une source de satisfactions positives et d’amélioration de certaines performances intellectuelles.
Sur le plan strictement médical, les effets négatifs d’une mauvaise utilisation des écrans concernent tous les âges, mais sont évidemment plus délétères pour l’enfant et l’adolescent. Ces problèmes sont principalement liés aux conséquences de l’utilisation vespérale ou nocturne des écrans, dont la lumière, en particulier la composante bleue, accroit la vigilance en inhibant la sécrétion de mélatonine, hormone clé de l’endormissement. Les troubles du sommeil qui en résultent peuvent entrainer une fatigue, des troubles de l’attention et affecter les résultats scolaires et la vie sociale. Ici encore, le rôle des parents est capital. D’autre part, l’éventuelle toxicité pour la rétine de la lumière diffusée par les écrans doit être prise en considération. Elle fait l’objet d’études importantes qui n’apportent pour l’instant pas de conclusion significative.
Tous les risques qui viennent d’être évoqués ne doivent pas occulter le fait que, bien utilisés, les écrans, et l’information dont ils permettent l’échange, constituent des outils de connaissance et d’ouverture sur le monde dont l’intérêt est incontestable. Il faut rappeler avec force que le rôle des parents, aussi bien en tant que modèle d’imitation que comme autorité éducatrice, reste absolument capital pour le bon usage des écrans et la construction de l’enfant. Vis-à-vis des adolescents, il faut également rappeler le rôle des enseignants pour un bon usage et pour l’éducation au discernement sur l’information reçue.
C’est pourquoi les campagnes alarmistes axées sans distinctions sur les « dangers des écrans » ne risquent pas seulement de faire ignorer aux parents et aux éducateurs les avantages potentiels des technologies numériques, largement argumentés à ce jour. Elles risquent aussi de faire oublier les véritables déterminants de la santé mentale et l’importance des problèmes sociaux. La fracture entre ceux qui sont préparés à bénéficier des apports du numérique et ceux pour lesquels celui-ci peut aggraver des difficultés préexistantes constitue aujourd’hui un problème de justice sociale autant que de santé publique.
La convergence numérique a d’ores et déjà rapproché le cinéma, la radio, la télévision et la téléphonie en leur imposant un support technologique commun. Très bientôt, de nouvelles formes d’interactions s’y associeront, utilisant l’intelligence artificielle sous des formes multiples et encore imprévisibles. Une attitude de vigilance positive devra rester de mise face à ces évolutions.