Avis de l’Académie des Technologies sur la validation des acquis de l’expérience
9 novembre 2010
Par une fécondation croisée de la recherche et du monde de l’entreprise, notre Académie est un observatoire privilégié des activités professionnelles en mutation et de leur aptitude singulière à révéler des compétences que le parcours de formation n’a pas permis d’identifier.
Pour répartir équitablement les fonctions à remplir dans la société, optimiser leur distribution et valoriser ses acteurs, il faut disposer de marqueurs individuels de compétences capables d’évoluer au cours de la vie professionnelle. Avant l’entrée dans la vie active, le seul marqueur disponible est le titre ou le diplôme professionnel acquis à l’issue de la formation initiale. Rompant avec la recherche d’un second marqueur pour suivre les compétences au cours de la vie, par exemple l’ancienneté, la France a consacré en 2002 le principe d’un marqueur unique, la certification professionnelle, définie cette fois, non plus comme la sanction d’un parcours de formation, mais comme la maîtrise d’un ensemble de compétences. Dès lors, sans regard du parcours d’acquisition, les individus maîtrisant les mêmes compétences ont droit à la même certification. La Validation des Acquis de l’Expérience – appelée ci-après VAE- est une conséquence de ce changement de repère qui conduit à conférer la même certification à toute personne qui apporte des preuves de cette maîtrise dans son parcours de formation et / ou dans son expérience professionnelle.
Si le principe qui fonde la VAE est facile à justifier et explique pour une grande part l’accueil très favorable de ses bénéficiaires potentiels, son application s’est révélée plus délicate. Elle s’est heurtée à plusieurs défis : entreprendre la traduction des diplômes ou titres traditionnels en certifications d’un bagage de compétences suffisant pour exercer un emploi, puis constituer des jurys capables d’apprécier leur maîtrise à l’issue de différents parcours avec rigueur et équité. Il fallait aussi accompagner les postulants, généralement isolés. La Loi de modernisation sociale de 2002 et ses textes d’application ont apporté des réponses qui ont débloqué des situations paradoxales, notamment dans les premiers niveaux de qualification, et entretenu diffusément l’espoir d’une « seconde chance » en élaborant un processus complexe qualifié parfois « d’usine à gaz », quitte à décourager nombre de postulants.
Le coup de semonce du secrétaire d’État Eric Besson de septembre 2008 provient de la confrontation des 25000 à 30000 certifications délivrées annuellement par VAE à un nombre de postulants potentiels qu’il évalue à six millions. Dans son rapport au Premier Ministre, Eric Besson préconise un ensemble de recommandations pour simplifier le processus et améliorer son efficacité. Il déclenche une série de prises de position d’un comité d’experts présidé par Vincent Merle qui met notamment l’accent sur les enjeux collectifs pour les entreprises et dont les conclusions font l’objet d’un accord national interprofessionnel (janvier 2009) avant d’être reprises dans la Loi du 24 novembre 2009 relative à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie du 23 novembre 2009.
La Loi de 2009 confirme le bien-fondé des orientations de la réforme de 2002 en matière de contenu des certifications et réaffirme le rôle éminent de la VAE. Elle améliore la cohérence de l’outil de traduction – le Répertoire National des Certifications Professionnelles (RNCP) – en élargissant la compétence de la Commission Nationale de la Certification Professionnelle (CNCP), instance chargée de l’élaboration du répertoire et de ses liaisons avec les répertoires des autres pays de l’Union Européenne. Elle prévoit la coordination d’instances régionales pour soutenir les initiatives individuelles et collectives susceptibles d’accroître la réactivité du dispositif. Le texte prévoit un rapport au Parlement au premier anniversaire de la publication de la Loi, à la fin du mois de novembre 2010. Une expression de notre Académie sur la réforme engagée vient donc fort à propos. Elle se présente sous la forme d’un constat suivi de cinq recommandations.
Le constat : une amélioration sensible dans la réalisation d’un répertoire cohérent, homogène et exhaustif, s’agissant essentiellement des titres et diplômes relatifs aux premiers niveaux de qualification. La Loi de 2009 a élargi les compétences de la CNCP, en dégageant un compromis honorable entre les ministères certificateurs (éducation nationale, agriculture, travail, …) et la CNCP, conférant à cette dernière, la possibilité d’exprimer un avis sur la cohérence des nouvelles certifications en cours d’examen. Le compromis a levé les réticences des partenaires sociaux à son endroit et incité les branches à accepter à leur tour de soumettre les Certificats de Qualification Professionnelle (CQP) à un avis de la CNCP, avis préalable à leur enregistrement au répertoire au terme d’une procédure allégée.
Des recommandations
1. Notre Académie considère que les modifications introduites dans le spectre de compétence de la CNCP vont assurément dans la bonne direction. En faisant passer sous une toise unifiée l’ensemble des certifications qui sollicitent l’enregistrement au RNCP, c’est la cohérence et la pertinence des informations fournies sur chacune d’elles, notamment en termes de leur valeur sur le marché du travail, qui sort renforcée du toilettage législatif. Le mouvement entrepris par les branches professionnelles en faveur d’un examen allégé par la même commission permet d’augurer très favorablement du rapprochement des certifications professionnelles et des CQP. L’élargissement de son autorité implique un surcroît de charge pour une Commission qui n’a jamais disposé de moyens à la hauteur des ambitions placées en elle. Si le rapport d’activité de la CNCP pour sa première année de fonctionnement sous le nouveau régime est rassurant, il ne faudrait pas que la ferveur d’un recommencement n’ait pallié les risques d’épuisement à court terme de sa capacité de réaction. En conséquence, la première recommandation de l’Académie concerne l’affectation régulière de moyens humains et matériels indispensables.
2. Pour la CNCP, il ne s’agit pas seulement de faire face à une croissance du nombre des certifications examinées chaque année. Il lui faudra également inventer ou mettre au point des procédures pour introduire, à côté de véritables certifications professionnelles, la valeur formative de parcours dédiés à la reconnaissance de compétences transversales dont l’importance est appelée à croître avec la complexité croissante et la mobilité des parcours professionnels. À titre d’exemple, citons le permis de conduire informatique qui ne couvre aucun métier, mais dont l’importance est décisive pour un grand nombre de situations professionnelles. L’Académie insiste sur l’importance d’une réflexion conduite en commun entre les principaux certificateurs et les branches professionnelles, notamment celles qui sont les plus touchées par les révolutions technologiques et organisationnelles.
3. Un répertoire complet, cohérent et lisible par tous est certainement une condition nécessaire et indispensable au succès de la VAE. Néanmoins, un autre élément clé de ce succès est, selon l’Académie, d’expliciter le contenu même des savoirs en termes de compétences, en particulier pour les niveaux élevés de qualification (enseignement supérieur dans les universités ou les « écoles »). Des progrès sont déjà réalisés dans les métiers des carrières sociales et, fait nouveau, dans les métiers liés à la protection de l’environnement. La performance du Conservatoire National des Arts et Métiers, avec plus de 700 parcours de VAE couronnés de succès, mérite une mention particulière. Pour aller plus loin et lever les réserves que suscite encore la VAE dans un certain nombre d’institutions, l’Académie rappelle qu’une certification professionnelle n’est pas aisément réductible à un ensemble de compétences, notamment quand il s’agit de prévoir les potentialités de son porteur, ce qui soulève la question de la méthode d’exploration de ces potentialités dans l’expérience professionnelle. Quand cette exploration est rendue difficile par la diversité des fonctions remplies par les titulaires de la certification et des compétences sollicitées par l’exercice de ces fonctions, il conviendrait de mobiliser les indices d’une adéquation raisonnable au niveau de responsabilité. Une voie serait de prendre en compte des compétences transversales dans les itinéraires de formation – ou de validation des acquis – en ayant recours à l’exploration de « tranches de vie », à l’instar des initiatives de nos collègues du droit administratif.
4. D’autre part, l’Académie estime qu’il s’agit de mettre en valeur les progrès de la VAE conduite dans le contexte de l’entreprise et les succès du management des salariés qui en sont le résultat. Mettre en lumière les succès et comprendre les conditions du succès : choix interne de la personnalité, choix de la trajectoire professionnelle qui doit accompagner le candidat, choix de la bonne certification qui doit être raisonnablement accessible et apporter une véritable valeur ajoutée, vertu collective de l’exemple. Ici aussi, l’Académie pourrait accompagner un recensement d’expériences collectives dont ses membres sont les témoins, non seulement pour leur effet sur les individus, mais aussi sur le dynamisme et la capacité de renouvellement des entreprises.
5. Chez la plupart de nos partenaires de l’Union européenne, l’élaboration d’un répertoire compatible avec le RNCP français facilite la reconnaissance des compétences des titulaires d’une certification dans l’espace européen et la libre circulation des talents. Une différence demeure toutefois : nos partenaires ne s’engagent guère dans la VAE. Ils préfèrent investir dans un passeport européen, « Europass », qui permet à son titulaire d’afficher librement les compétences acquises pendant sa formation, son expérience professionnelle ou ses voyages.
« Europass » est un complément utile de la « certification à la française » ; en revanche, il ne saurait être un substitut dans la mesure où il engage assez peu les institutions qui remplissent les feuillets relatifs à la formation, en s’abstenant notamment de références à l’accessibilité des emplois. La coopération au dispositif « Europass » ne devrait donc pas servir d’alibi pour dispenser les institutions françaises de la délivrance de certifications par validation des acquis de l’expérience.
6. Chaque salarié est appelé à reconnaître dans la VAE le potentiel d’un outil pratique pour évaluer sa carrière et sa propre formation, en lui permettant notamment d’effectuer une comparaison de son niveau de salaire et de sa progression professionnelle, de tester l’opportunité d’un déplacement vers un autre secteur professionnel ou vers d’autres fonctions, voir même vers un autre pays. En prenant appui sur la réussite de l’articulation européenne des RNCP, la VAE pourrait faciliter la mobilité géographique et européenne des salariés, et à rapprocher les besoins des entreprises (en France et à l’étranger) avec les personnels expérimentés disponibles.
En revanche, il est peu probable que la démultiplication du recours à la procédure qu’implique cette perception de la VAE soit financièrement supportable sans des formes d’automatisation analogues à celles qui sont adoptées dans les réseaux sociaux informatisés et accompagnées par des mesures assurant la confidentialité et la sécurité de l’information. On peut penser que certains aspects relevant de l’équivalence de parcours de formation ou d’expérience pourraient être rendus automatiques par des programmes adéquats. L’académie des technologies encourage une mobilisation des chercheurs, des éducateurs et des partenaires sociaux autour d’un dispositif de cette nature qui, conçu comme le développement d’un « SUPER-EUROPASS », mériterait d’être conduit et réalisé sous la forme d’un projet-pilote, probablement avec le soutien de moyens offerts par la Commission Européenne.