Après trois décennies de désengagement, l’industrie redevient un enjeu de société reconnu comme essentiel à la santé économique de notre pays et à l’emploi. Le rapport de Louis Gallois, remis au Gouvernement en novembre 2012, a rappelé les mesures nécessaires pour restaurer sa compétitivité. Celui de la commission Innovation 2030 présidée par Anne Lauvergeon, remis en octobre 2013, a tenté d’identifier les secteurs et les technologies sur lesquels miser, tandis que le ministre du redressement productif lançait 34 plans industriels. Enfin, le Président de la République affirme la nécessité de mener une politique d’offre et la nouvelle France industrielle est à l’ordre du jour de l’agenda de la rentrée politique.
L’Académie des technologies quant à elle s’est penchée sur les moyens de favoriser la renaissance industrielle sous des formes adaptées aux nouveaux enjeux écologiques et sociétaux, dans un marché mondialisé.
Comment faciliter en France le développement d’une industrie créatrice de richesse pour toutes ses parties prenantes, respectueuse de ses salariés, sobre en ressources et attentive à ses impacts, soucieuse de la qualité et de la sécurité de ses procédés et de ses produits, moteur du développement durable des territoires sur lesquels elle est implantée ?
Quarante experts, coordonnés par Thierry Weil, membre de l’Académie des technologies, délégué de La Fabrique de l’industrie, et professeur à l’école des Mines, ont réfléchi pendant un an à cette question et remettent aujourd’hui leurs conclusions. Le rapport « La Renaissance de l’industrie », accompagné d’un recueil d’analyses spécifiques qui viennent étayer cette réflexion, se penche aussi bien sur ce qui relève des entreprises que sur le rôle pouvoirs publics. Il insiste sur l’importance des réseaux et des écosystèmes pour mettre en place une nouvelle forme d’innovation système susceptible de relancer la croissance et l’emploi, sur la nécessité d’améliorer la formation initiale et la formation continue, d’organiser des carrières plus évolutives et donc plus attractives, de développer une recherche technologique accessible aux entreprises, d’encourager les investissements patients et risqués.
Il montre, à travers quelques exemples comment l’industrie française peut consolider ses positions ou rattraper ses retards grâce au développement et à la diffusion de technologies émergentes et en s’appuyant sur de nouveaux usages.
L’Académie propose d’actionner 3 leviers principaux pour faciliter le développement en France d’une industrie créatrice de richesse pour toutes ses parties prenantes, respectueuse de ses salariés, sobre en ressources et attentive à ses impacts, soucieuse de la qualité et de la sécurité de ses procédés et de ses produits, moteur du développement durable des territoires sur lesquels elle est implantée.
1/ Développer les écosystèmes : près de dix ans après la création des pôles de compétitivité, l’Académie constate que cette politique permet la montée en puissance de nouveaux champions industriels. Les PME membres des pôles nouent beaucoup plus de partenariats à l’étranger sur un projet innovant que les autres PME : 20 % contre 2 %. Par ailleurs, la participation aux projets collaboratifs du Fonds unique interministériel, programme destiné à soutenir la recherche appliquée, se traduirait en moyenne par an par entreprise comparée à celles restées en dehors des pôles, par un supplément de croissance de 2,0 % entre 2005 et 2012. Alain Bravo, Délégué général de l’Académie des technologies, cite ainsi les exemples d’ARVE Industries en Haute Savoie Mont Blanc, AXELERA dans la Communauté Urbaine de Lyon, Industries & AGRO-RESSOURCES en Picardie–Champagne-Ardennes, PEGASE en Provence-Alpes-Côtes d’Azur et VEGEPOLYS en Pays de Loire. Les pouvoirs publics doivent favoriser le développement de nouveaux écosystèmes, qui sont le principal levier pour « repeupler » industriellement le territoire national.
2/ Redonner de l’attractivité aux carrières industrielles : l’industrie offre des emplois qualifiés bien rémunérés, mais propose trop peu de possibilités d’évolution aux jeunes issus des filières professionnelles et techniques. Pour attirer les élèves vers les métiers de l’industrie et vers des formations en alternance très enrichissantes, il faut mettre en place, comme chez nos voisins suisses ou allemands, une gestion des ressources humaines active détectant les potentiels, valorisant les expériences acquises et favorisant la formation tout au long de la vie.
3/ Définir un cadre réglementaire et fiscal favorable et stable qui encourage l’investissement dans des projets industriels. L’écart entre les efforts de financement des projets industriels aux États-Unis et en Europe est immense. Soumises au durcissement des contraintes réglementaires, les banques accorderont moins de financements à long terme, notamment aux PME. Il est donc urgent d’encourager l’épargne de proximité et plus généralement les investisseurs qui acceptent d’immobiliser et de risquer leur capital dans un projet d’entreprise par une fiscalité favorable. Comme le souligne Christian de Boissieu : « il faut accepter de rémunérer le risque : de ce point de vue, il n’existe pas, en France, de différenciation suffisante entre ce qui est risqué et ce qui ne l’est pas. Les questions de financement ne peuvent être séparées des questions de culture de l’entrepreneuriat, celle-ci doit être développée ».
Ce rapport est un plaidoyer pour la technologie et le progrès technique, et prône la mise en place d’une nouvelle forme d’innovation : l’innovation système, qui devrait privilégier une « dé-verticalisation » des chaînes de valeurs industrielles. En effet, l’importance de produire en masse conduit les entreprises à se concentrer sur certaines étapes de la chaîne de valeur, l’innovation finale étant produite par un intégrateur.
Ainsi que l’explique Gérard Roucairol dans le recueil d’analyse spécifique qui accompagne le rapport (chapitre : Les TIC moteur de l’innovation système) : « En considérant un système comme un ensemble de composants interconnectés et interdépendants pour remplir une fonction donnée, l’innovation système permet de développer des fonctionnalités et des services nouveaux qui soient à la fois personnalisés et reproductibles en masse. Ces fonctionnalités et services nouveaux sont obtenus en intégrant de manière originale divers composants et technologies. L’innovation système est facilitée par les technologies de l’information et de la communication. Elle permet de moderniser et de créer des systèmes multi-technologiques, multidisciplinaires, multi-échelles, cohérents et programmables globalement. Le développement de tels ensembles intelligents – dans le domaine de la santé, de habitat, de l’urbanisme, des transports, de la fabrication du futur, sera source d’innovations, d’emplois, il sera facteur d’attractivité des territoires et de croissance pour notre pays ».
Commander La renaissance de l’industrie. Rapport, EDP Sciences, 2014, 116 p., 17 euros
Vidéo : extraits de la conférence de presse La renaissance de l’industrie