Les états généraux du numérique pour l’éducation sont prévus les 4 et 5 novembre pour tirer les enseignements du recours aux technologies numériques pendant le confinement du printemps 2020, et pour consolider une stratégie du numérique pour l’éducation engagée en 2019 après plusieurs plans, plutôt décevants, de diffusion de l’informatique ou du numérique à l’école.
En amont de ces états généraux, l’Académie des technologies formule des recommandations et soulève des points de vigilance, notamment étayés par ses travaux sur les technologies numériques, leurs usages, leurs effets, sur le phénomène d’appropriation des technologies ainsi que sur la formation.
1. Un sens étayé et renouvelé est à donner au développement du numérique dans l’école.
L’analyse historique des expériences de diffusion de technologies nouvelles dans des organisations révèle l’importance du sens donné aux mutations engagées.
La justification, souvent mise en avant d’une école plus numérique, est à questionner. Dans divers documents récents, il est encore soutenu que le numérique facilite les apprentissages scolaires. Or, cela n’est pas corroboré par de nombreuses études.
De meilleurs résultats dans les tests internationaux (PISA, TIMMS…) ou nationaux, à tous niveaux, ne pourraient pas être obtenus par un recours accru au numérique pour l’éducation sans comprendre, et traiter, les causes de ce manque actuel de valeur ajoutée pédagogique.
Deux raisons peuvent être avancées :
- Le caractère plaqué du numérique sur des méthodes traditionnelles d’enseignement ;
- Un défaut de compétences numériques adéquates chez nombre d’enseignants et d’acteurs du système, générateur d’une insuffisante compréhension des enjeux ; bien entendu, tous les enseignements, et donc tous les enseignants, ne sont pas concernés de la même façon.
Ces raisons ne concernent pas que la France.
Une nouvelle vision, partagée, est nécessaire
La transformation, devenue nécessaire, d’un système complexe comme celui de l’éducation nationale ne peut se faire que de façon progressive et coordonnée, avec une « vision à terminaison » qui soit partagée par les parties prenantes de l’école. La mutation s’opérera avec un dessein commun et devra permettre à chacun d’y trouver sa place. Les maîtres d’œuvre de la mutation doivent, à cette fin, mieux prendre en compte les imaginaires collectifs du numérique pour l’éducation et ses représentations, avec leurs parts attractives et répulsives, chez les diverses parties prenantes de l’école.
2. Une ambition pour l’école serait d’accompagner la transformation numérique de la société.
La société se transforme sous l’effet, notamment, de la diffusion des usages de technologies numériques. L’école devrait non seulement suivre le mouvement mais, à certains égards, le devancer ou l’accompagner.
Pour un élève, un recours, accru et raisonné, au numérique aurait, en particulier, pour vocation à l’aider à acquérir plus d’autonomie dans ses apprentissages et dans la gestion de son parcours scolaire. Il lui permettrait de développer ses capacités à apprendre à apprendre, compétence-clé pour un monde en transformation permanente.
Pour un enseignant, il s’agirait de dépasser le stade d’utilisateur occasionnel de logiciels prédéfinis afin qu’il devienne un concepteur de scénarios pédagogiques. Le numérique lui permettrait une meilleure personnalisation des apprentissages de ses élèves (apports conjoints de l’analyse de données et de l’intelligence artificielle).
Pour un collectif (élèves ou enseignants ou inspecteurs…), le numérique permettrait un meilleur partage des expériences, une progression collaborative dans la diffusion des connaissances et les apprentissages.
Pour les parties prenantes de l’école (l’ensemble composé des élèves, des parents d’élèves, des enseignants, des cadres), il permettrait de tisser des liens sociaux plus étroits.
Le numérique est une opportunité dont il faut surmonter les défauts et risques
Par ailleurs il conviendrait que l’usage du numérique fournisse les éléments de jugement et d’expertise permettant à chaque élève de se comporter plus tard en citoyen responsable d’un monde numérisé. Cela suppose en particulier que soit enseigné l’usage, à des fins pédagogiques, d’outils auxquels il peut avoir un accès aisé hors de l’école, ou une fois passé le temps de l’école (smartphone, ordinateur). La question de la surexposition aux écrans est à prendre en compte.
Eduquer au numérique est aussi une priorité.
Dans ce contexte, le taux d’équipement des familles en moyens informatiques et la couverture en haut débit des territoires sont deux points de blocage à traiter rapidement, de même que les infrastructures logicielles et matérielles permettant d’offrir les nouveaux services permettant de développer les fondements nouveaux de l’éducation numérique. Les plateformes numériques sont une réponse.
3. Le recours aux plateformes numériques intégratives serait à amplifier.
Un défi de la transformation numérique de l’écosystème de l’éducation nationale est de savoir transformer la considérable quantité de données qui est à la disposition de son administration (locale, régionale, nationale) mais aussi de ses enseignants et de leurs collectifs, en informations produisant de la valeur sociale pour la collectivité. Cela commence par une « stratégie données », essentielle pour orienter le travail technique de valorisation des données, dans le respect, bien entendu, des législations en vigueur (dont RGPD).
La transformation numérique en cours doit reposer sur l’élaboration de plateformes intégratives spécifiques à l’écosystème de l’éducation nationale.
Une plateforme intégrative permet de collecter, archiver, structurer, partager et échanger des données et les protéger. Elle fournit des traitements génériques d’analyse de données et de prédiction ainsi que des outils de gestion d’objets connectés utiles à la pédagogie. Une telle plateforme offre des mécanismes de configuration et d’exécution des applications ainsi que des fonctions permettant d’assurer l’extensibilité et l’évolutivité de ces applications. Ainsi elle permet que de créer aisément et de proposer de nouveaux services, en capitalisant sur les retours d’expériences des services existants.
Une plateforme intégrative, ou collaborative, crée du lien et fait communiquer différents types d’utilisateurs (divers niveaux de l’administration, enseignants, élèves, parents). Une plateforme peut être constituée d’un réseau de plateformes dédiées. Elle permet alors de créer des services d’une communauté vers une autre ou au sein d’une même communauté (par exemple un enseignant peut créer un service aisément transférable vers ses collègues).
Sur cette base, le ministère devrait définir et communiquer rapidement une vision stratégique de ses activités reposant sur l’usage de données et de services numériques combinés et partagés et établir les plans d’investissement correspondants, en relation avec les collectivités locales et leurs associations représentatives. Les choix faits devraient préserver, à moyen terme et long terme, la souveraineté numérique de la France, au moins de l’Europe.
4. Les solutions techniques choisies devraient favoriser l’appropriation et l’apprentissage du numérique.
Les études des succès et des échecs d’objets techniques – dont les résultats sont transposés ici au numérique pour l’éducation – nous enseignent que la qualité de leur conception et de leur design est déterminante pour leur appropriation et pour faciliter leur apprentissage par les utilisateurs – ici, les professeurs et les élèves –.
La conception des outils du numérique pour l’éducation doit privilégier la souplesse, la plasticité des solutions, c’est-à-dire la possibilité donnée à l’utilisateur de modifier l’objet, de le mettre à sa main, et d’en développer de nouveaux usages, tout en préservant l’interopérabilité de l’objet avec les autres composantes du système où il s’insère. La co-conception, associant maître d’œuvre, concepteur et utilisateurs potentiels, favorise l’appropriation.
Les outils du numérique pour l’éducation sont des constructions à la fois collectives et individuelles, il en va de même pour leur apprentissage.
L’apprentissage de ces outils, pour chaque utilisateur, s’opère par des allers-retours entre les niveaux individuel et collectif. L’apprentissage individuel démarre souvent dans des groupes (classe, collectif d’enseignants). La qualité de l’apprentissage est fonction de l’intensité des interactions au sein de ces groupes. Il convient de les encourager et de les faciliter.
Le moment de l’apprentissage est, par ailleurs, celui où se forgent les opinions personnelles portées sur l’outil à partir desquelles se construit une opinion collective qui se répand ensuite entre des groupes similaires. Une attention toute particulière est donc à apporter aux premières mises en situation, des actions correctrices doivent intervenir très rapidement. Il est important que les premières opinions diffusées soient favorables et qu’un imaginaire collectif positif puisse se créer.