Pour chauffer ses logements, produire son eau chaude sanitaire, chauffer ses hauts-fourneaux, ses serres, ses couveuses, etc., la France consomme chaque année une énergie sous forme de chaleur équivalente à 74,3 Mtep. Dans cet ensemble, plus de la moitié environ de la chaleur utilisée est produite à partir d’énergies fossiles entièrement importées (pétrole, charbon, gaz), qui pèsent lourdement sur le déficit de notre commerce extérieur et qui brûlent inutilement à très haute température (>1000°C) en émettant du CO2 sans possibilité de capture.
Pourtant il existe dans notre pays un potentiel important de chaleurs dites « fatales » (générées par des processus d’origine industrielle ou ménagère, aujourd’hui dissipées dans la nature) et d’énergies renouvelables thermiques (biomasse, géothermie, eaux usées, etc.) utilisables directement sous forme de chaleur et sans émission de CO2. L’emploi de ces chaleurs à capter sur des sites industriels de grande taille, ou localement sur des sites dispersés, le transport et la distribution par des réseaux de chaleur spécialisés, ont fait l’objet d’une première évaluation économique qui montre leur faisabilité. Les investissements nécessaires sont à réserver, de préférence, aux aménagements nouveaux, que ce soit pour la récupération de la chaleur perdue, pour les réseaux de distribution en milieu urbain ou périurbain, ou pour le stockage saisonnier de chaleur, indispensable au chauffage des bâtiments et à la régularisation des flux de chaleur (demande et offre).
Compétitive par rapport aux énergies fossiles, la chaleur ainsi utilisée devrait faire l’objet d’un mécanisme d’encouragement à l’investissement, via une taxe à l’émission de CO2, basée sur le principe pollueur = payeur, de façon à inciter les décideurs à financer des équipements nouveaux plutôt qu’à continuer à brûler des énergies fossiles importées et en émettant du CO2. Cette démarche serait largement bénéfique à la nation pour l’indépendance énergétique du pays, sa balance commerciale, les emplois nouveaux engendrés, et la valeur ajoutée créée au niveau national. Elle diminuerait également fortement les émissions de CO2, contribuant ainsi efficacement à l’atteinte du facteur 4 en 2050, objectif retenu par le Grenelle de l’environnement.
Une part importante des énergies fossiles importées par notre pays (27% de la facture énergétique, soit 18,7 G€) sert uniquement à être brûlée pour chauffer nos bâtiments et notre eau chaude sanitaire, produire de la chaleur pour nos industries, nos serres etc. Cette situation constitue un triple paradoxe :
1. on brûle des hydrocarbures à température de flamme supérieure à 1000 °C pour chauffer à basse température 70-80 °C (gaspillage de potentiel énergétique).
2. on continue à émettre des gaz à effet de serre (CO2) de façon importante.
3. on prolonge le déséquilibre de la balance de notre commerce extérieur.
L’utilisation de la chaleur disponible directement sur notre territoire éviterait ces trois inconvénients.
En effet la France dispose d’une réserve importante de « chaleurs fatales » (issues d’installations industrielles, urbaines ou simplement locales) ou renouvelables (énergies thermiques ) dont l’ampleur pourrait [largement] contribuer à couvrir les besoins décrits plus haut. Il est possible d’imaginer des solutions de collecte afin que cette réserve de chaleurs récupérables ou renouvelables soit transportée et distribuée efficacement. Il s’agit dès lors de se préparer à constituer des systèmes intégrés et optimisés, gérant en permanence le mix énergétique de ces chaleurs en fonction des besoins et des coûts.
Plusieurs recommandations peuvent être émises dans ce cadre :
1. Recenser au niveau national les gisements de chaleurs fatales et les besoins en chaleur en les qualifiant et les localisant. Ce recensement doit prendre en compte le niveau de température, la nature du fluide chaud (liquide, solide, gaz) et ses propriétés d’encrassement, de corrosion ou d’érosion, ainsi que la dynamique de production de cette chaleur fatale (continu, cycle programmé, journalier, saisonnier, aléatoire…). La localisation des gisements et notamment la proximité de consommateurs locaux en quantité suffisante pour consommer le flux, voire de réseaux de chaleur existants doit faire partie de cette analyse. L’espérance de vie résiduelle du site producteur de chaleur fatale est aussi un élément à prendre en compte dans cette analyse.
2. Pour les installations industrielles dont la production de chaleur est considérable, prévoir d’intégrer le processus de récupération voire de cogénération dans le cadre de la construction d’installations neuves, voire de la rénovation en profondeur d’installations existantes.
3. Pour la récupération de certaines chaleurs locales, telles que : eaux usées, extractions d’air des bâtiments, data centers, laveries industrielles, etc., promouvoir des technologies spécifiques en les combinant en vue d’une optimisation intelligente des systèmes.
4. Pour les réseaux de distribution de chaleur dans tous les aménagements neufs, rendre obligatoire la réalisation de réseaux de chaleur à basse température (<100°C) dans les travaux de VRD, de façon à minimiser leur coût. La technique du réseau trois tubes pourrait être retenue, étant l’une des plus appropriées pour distribuer des chaleurs à basse température issues de pompes à chaleur, ou en direct lorsque les sources de chaleur s’y prêtent.
5. Pour les réseaux de distribution de chaleur dans le tissu urbain existant, il est recommandé l’extension de proximité d’un réseau de chaleur déjà installé, qui reste souvent la solution la plus économique ; à défaut, le réseau d’assainissement urbain existant peut être utilisé, en récupérant alors la chaleur des eaux usées à l’aide de pompes à chaleur. La recharge de ce réseau avec des chaleurs fatales est une option à considérer. De même, l’utilisation du réseau d’eau potable, dans certains cas, pourrait faire sens pour transporter des calories.
6. Développer les technologies de stockage local d’énergie provenant des sources continues de chaleur « fatale », soit pour des raisons de saisonnalité (pendant l’été), soit afin de régulariser les pics de demande ou de production. Ce stockage devrait s’appliquer aussi bien aux installations industrielles de grande capacité, qu’aux sources locales diffuses comme les eaux usées ou l’incinération des déchets. Il pourrait être réalisé à l’aide de sondes géothermiques, et intégré aux travaux de VRD au moment de leur exécution. Ainsi, lors de la commercialisation des terrains aménagés par les collectivités territoriales, la solution du mode de chauffage serait imposée et optimisée.
7. En matière de financement, il est recommandé de développer la taxation des émissions de CO2, selon le principe pollueur = payeur et exclusivement affectée à son objet. En parallèle, il devrait être procédé à l’élimination de certains « détournements » effectués de différentes façons lors de la commercialisation de l’énergie des réseaux de chaleur par des collectivités locales. Enfin la réglementation devrait être modifiée pour que la distribution et le stockage de chaleur soient pris en compte dans la construction des VRD des aménagements neufs.
Une approche volontariste sur les plans règlementaire et incitatif, avec des objectifs affirmés de couverture des besoins par paliers raisonnablement fixés sur des périodes de 5 à 10 ans, permettrait ainsi d’avancer vers la mobilisation de ces énergies abondantes et aujourd’hui perdues.