Avis adopté par l’Académie d’agriculture de France et l’Académie des technologies le 6 juillet 2016
Depuis le début des années 1990 des techniques de mutagénèse induite ciblée par des procédés biotechnologiques ont été développées.
Les mutations ciblées ainsi obtenues sont d’un grand intérêt pour l’amélioration des plantes car elles permettent d’accélérer l’obtention de variétés d’intérêt et par conséquent la réduction des coûts qui lui sont associés.
Dans un paysage réglementaire encore confus au niveau européen, et en l’absence de recul sur les données concrètes issues du terrain les deux Académies, dans un avis adopté le 7 juillet, appellent les Pouvoirs publics à laisser se développer les expérimentations en cours, y compris les expérimentations au champ et à en utiliser les résultats pour préparer un cadre réglementaire qui intègre à la fois la biovigilance et les avancées techniques que ces nouvelles technologies permettent d’envisager.
I) Exposé des motifs
Historiquement l’Académie d’agriculture s’est intéressée très tôt aux avancées en sélection végétale et contribue aux débats de la société concernant les sciences et les technologies. Depuis sa création l’Académie des technologies s’est intéressée à l’évolution des techniques de modification du génome appliquées au cas de l’amélioration des plantes cultivées dans les programmes de sélection. Sa Commission des biotechnologies, en particulier, a suivi les progrès réalisés par les biologistes moléculaires dans ce domaine. Elle a également regardé avec attention les modifications réglementaires et légales successives apportées aux procédures d’autorisation des variétés issues de ces travaux, tant au niveau de la Commission Européenne qu’au niveau national.
On rappellera qu’au cours de l’année 2013 l’Académie des technologies s’est associée à l’Académie des sciences et à l’Académie d’agriculture pour échanger l’expertise de leurs membres sur le sujet. A la suite de ce travail en commun ces trois Académies ont organisé le 19 novembre 2013 un colloque ouvert pour discuter avec un large public des avancées des Plantes Génétiquement Modifiées (PGM) dans le monde, des avantages et des limites qui pouvaient leur être attribués et de l’état de la règlementation française et européenne. Soucieuses d’apporter leur expertise au plus grand nombre, les Académies ont, à la suite de ce colloque, rédigé un avis largement diffusé qu’elles concluaient en ces termes : « Pour avancer dans ce débat, les Académies demandent que les questions scientifiques et agronomiques touchant aux PGM soient approfondies sur des bases objectives. Ceci implique de restaurer la liberté de mener des recherches et essais, y compris l’expérimentation en plein champ et sur le long terme, en application des règlementations existantes. »
La Commission des biotechnologies a soutenu la publication en 2014 du livre « Dix questions à Bernard Le Buanec sur le sujet des OGM » qui répond aux nombreuses interrogations que se pose le public. Le groupe de travail de l’Académie d’agriculture sur les plantes génétiquement modifiées a également publié en 2015 un livre « Plantes Génétiquement Modifiées, menace ou espoir » coordonné par Jean-Claude Pernollet.
A la fin de l’année 2015 un nouveau groupe de travail a été mis en place au sein de la Commission de biotechnologies de l’Académie des technologies pour travailler sur le thème « Nouvelles technologies et l’agriculture » auquel a été associée l’Académie d’agriculture. A l’Académie d’agriculture un groupe de travail « Nouvelles biotechnologies pour l’agriculture et l’alimentation » examine les usages des nouvelles biotechnologies, notamment celles concernant les modifications du génome. Le groupe de travail commun des deux Académies réunit les experts de la Commission des biotechnologies de l’Académie des technologies ainsi qu’un bon nombre de ceux de l’Académie d’agriculture. C’est donc tout naturellement que la question posée par la mise à disposition de nouvelles techniques de modification du génome sans apport d’ADN « étranger » comme outil de sélection dans les processus d’amélioration des plantes a pu y être abordée. Plusieurs travaux académiques s’en étaient déjà saisis, dont en particulier le rapport publié par EASAC , l’association européenne des académies des sciences, celui publié également la même année par les académies allemandes , dont ACATECH, notre Académie sœur et enfin, très récemment, celui de trois académies américaines.
Il parait important que la question de l’accès aux nouvelles technologies de modification du génome, les mutagénèses ciblées, soient étudiées et discutées en prenant bien en compte l’évolution des techniques et les avantages qu’elles apportent dans de nombreuses applications dérivées des progrès faits en sciences de la vie. (Voir annexe technique). Leur faible coût et leur facilité de mise en œuvre permettraient leur utilisation par de nombreuses entreprises de création variétale quelle que soit leur taille, comme par les laboratoires de recherche publique, contribuant ainsi au maintien de la diversité des acteurs. Cependant leur utilisation en Europe, tant dans le domaine de la recherche que dans celui de la production agricole, dépendra de la réglementation qui leur sera appliquée. Il est important que la Commission Européenne et ses Etats Membres précisent rapidement les statuts de ces technologies dans le domaine végétal afin d’éviter toute incertitude qui risquerait de pénaliser la recherche, l’innovation et l’agriculture européenne dans un contexte socio-économique de plus en plus mondialisé.
C’est dans ce cadre que les deux Académies proposent aujourd’hui l’avis ci-dessous. Son esprit va dans le sens de la réponse du gouvernement français à la question du 12 décembre 2015 de la députée Brigitte Allain posée au Ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie sur les nouvelles techniques d’amélioration des plantes : « Il convient de veiller à ce que les décisions qui seront prises au niveau européen soient proportionnées aux risques et aux enjeux de ces techniques et tiennent compte de la finalité des applications qui peuvent être développées avec ces techniques. L’analyse du HCB montre ainsi que la réglementation relative aux OGM ne devrait pas s’appliquer à certaines nouvelles techniques. Le gouvernement français sera par ailleurs vigilant à la sécurité juridique des décisions prises au niveau européen ».
Cette démarche conjointe, aujourd’hui relative au seul au domaine de l’amélioration des plantes, n’exclut pas une réflexion commune plus large sur les usages de ces nouvelles techniques dans la modification des génomes des animaux.
II) Avis des Académies des technologies et d’agriculture de France sur la réglementation des mutagénèses ciblées par édition du génome dans le domaine végétal
1) Depuis le début des années 1990 des techniques de mutagénèse induite ciblée par des procédés biotechnologiques ont été développées : elles mettent en jeu les méganucléases, les ODM (Oligonucleotide Directed Mutagenesis), les nucléases à doigts de zinc (ZFN, Zinc Finger Nuclease), les nucléases TALEN (Transcription Activator-Like Effector Nucléases) et le système CRISPR (Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeat) associé à une nucléase.
2) Les mutations ciblées ainsi obtenues sont d’un grand intérêt pour l’amélioration des plantes car elles permettent d’accélérer l’obtention de variétés d’intérêt et par conséquent la réduction des coûts qui lui sont associés. Elles contribuent par ailleurs à une augmentation de la diversité génétique des créations variétales.
3) Dans un paysage réglementaire encore confus au niveau européen, et en l’absence de recul sur les données concrètes issues du terrain les deux Académies appellent les Pouvoirs publics à laisser se développer les expérimentations en cours, y compris les expérimentations au champ et à en utiliser les résultats pour préparer un cadre réglementaire qui intègre à la fois la biovigilance et les avancées techniques que ces nouvelles technologies permettent d’envisager.
Pour les deux Académies ces techniques de mutagénèse ciblée peuvent être exclues des techniques réglementées par le Directive européenne 2001/18/CE relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement, conformément à son Annexe 1B .
Annexe à l’avis des Académies d’Agriculture et des Technologies sur la réglementation des mutagénèses ciblées par édition du génome dans le domaine végétal
Une mutation est un phénomène biologique en deux étapes : d’abord, généralement, la cassure d’une molécule d’ADN d’un chromosome sous l’effet transitoire de divers facteurs physiques ou chimiques ou biologiques puis la réparation de cette cassure par des réactions enzymatiques cellulaires faisant éventuellement apparaître de nouveaux caractères morphologiques et/ou physiologiques ou faisant disparaître des caractères existant préalablement.
Les mutations spontanées
Les mutations spontanées sont des phénomènes qui interviennent naturellement dans l’environnement. Il est généralement admis qu’elles sont à l’origine de la diversité génétique. Leur existence et les nouvelles caractéristiques qu’elles contrôlent ont été mises à profit par l’Homme pour identifier des espèces et des variétés de plantes adaptées à ses besoins. Ces mutations spontanées ont eu et ont encore des conséquences majeures pour l’agriculture. On peut citer comme exemple celle qui contrôle l’adhérence du grain de riz sur la panicule et a ainsi permis la domestication de cette céréale. Un autre exemple, parmi de nombreux autres, est illustré par les mutations ponctuelles d’un gène de l’orge à deux rangs la transformant en orge à six rangs appelée escourgeon.
Les mutations induites aléatoires
A la fin des années 1920 des sélectionneurs ont cherché à augmenter la diversité génétique par divers moyens dont les mutations « induites ». Ces mutations sont provoquées soit par des rayonnements électromagnétiques soit par des produits chimiques appliqués sur des graines en laboratoire. Ces graines sont ensuite semées et les plantes qui en sont issues triées pour de nouveaux caractères recherchés.
Pour les rayonnements les premières tentatives faisaient appel aux rayons X. Par la suite, à l’aube de l’ère atomique, les rayons gamma et les neutrons ont pris la relève à mesure que ce type de rayonnements pouvait être couramment obtenu dans les centres d’études nucléaires alors nouvellement installés. Des mutations ont aussi été induites par des rayons ultraviolets sur des cellules en culture. Les mutations produites par ces procédés physiques peuvent entraîner des pertes de fragments chromosomiques ou des réarrangements dans le génome. Dans le cas des substances chimiques c’est l’EMS (sigle anglais pour ethyl methanesulfonate) qui est le plus souvent utilisé.
Ces mutations induites sont aléatoires ce qui nécessite par conséquent de très grandes cohortes de plantes mutantes pour repérer celles qui ont un intérêt agronomique, avec des coûts élevés correspondants. Cependant de nombreuses mutations ont été ainsi sélectionnées et introduites dans des variétés dont beaucoup sont encore cultivées comme par exemple 200 variétés de riz dans le monde, des variétés de tournesol, d’igname, de nombreux fruits et des plantes ornementales.
Les mutations induites dirigées par des procédés biotechnologiques
Deux avancées techniques ont permis la mise au point de mutations induites dirigées ou ciblées, appelées « genome editing » en anglais ou « édition du génome » en français :(i) le séquençage du génome permettant, à partir des années 1980, de connaître de façon précise les séquences nucléotidiques des gènes sur la molécule d’ADN, le premier séquençage d’un génome entier d’une plante ayant été publié en 2000 et (ii) la découverte de « ciseaux » biologiques permettant de couper l’ADN des chromosomes à un endroit précis, les nucléases.
La découverte de ces « ciseaux » dérive au départ de la découverte par l’équipe de Bernard Dujon en 1992 à l’Institut Pasteur d’une enzyme qui a été appelée méganucléase . Cette enzyme de restriction a la particularité de reconnaitre une séquence de 18 nucléotides successifs dans un génome. La probabilité de trouver sur la molécule d’ADN une autre suite de 18 nucléotides étant proche de zéro cette méganucléase ne coupe l’ADN qu’au site ciblé. C’est le début de l’idée du ciblage des mutations du génome. Une fois l’ADN coupé, il se répare de façon autonome suivant le même mécanisme que dans le cas des mutations spontanées décrites ci-dessus.
Depuis cette découverte de nouveaux outils ont été utilisés, les ODM (Oligonucleotide Directed Mutagenesis) à la fin des années 1990, les nucléases à doigts de zinc (ZFN, Zinc Finger Nuclease) au début des années 2000, les nucléases effectrices TALEN (Transcription Activator-Like Effector Nuclease) à la fin des années 2000 et, depuis 2012 le système CRISPR (Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats ). Dans ce dernier cas ce n’est pas une protéine qui reconnaît la séquence d’ADN mais un ARN de l’ordre de 20 nucléotides, molécule que l’on associe à une nucléase comme par exemple la nucléase Cas9 . Cet ARN, qui sert de guide au « ciseau », est facilement synthétisé in vitro pour un coût minime en copiant la séquence de l’endroit du gène cible dans laquelle on cherche à créer une nouvelle mutation.
Ces techniques sont de mieux en mieux maîtrisées et le risque de mutation hors cible devient extrêmement faible, voire nul, ainsi que cela a été expliqué dans le paragraphe précédent. A ce niveau, il faut bien distinguer leurs applications chez les végétaux de celles chez les animaux et l’homme. Chez les plantes elles sont un nouvel outil pour créer de façon ciblée de nouvelles mutations qui seront étudiées en plein champ par le sélectionneur.
Elles permettent en effet de créer, quand la séquence du génome de la plante est connue, une nouvelle mutation au site même d’un gène responsable d’un caractère préalablement identifié : les mutations peuvent donc être spécifiées à l’avance et le tri des plantes est alors considérablement simplifié, permettant ainsi d’accélérer le travail du sélectionneur et de réduire les coûts
Nous disposons donc aujourd’hui d’ outils efficaces pour provoquer des mutations ciblées de génomes. Ces mutations sont prometteuses pour le développement de nouvelles variétés de plantes permettant de répondre aux défis actuels d’une demande de production alimentaire en forte croissance au niveau mondial, tout en préservant l’environnement.
Notre analyse de la situation de ces nouvelles techniques par rapport à la Directive européenne 2001/18/CE relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement est la suivante :
A) – La Directive définit dans son article 2 un organisme génétiquement modifié (OGM) comme étant un « organisme, à l’exception des êtres humains, dont le matériel génétique a été modifié d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par multiplication et /ou par recombinaison naturelle ».
– L’annexe 1B de la Directive exclut de son champ d’application la mutagénèse « à condition qu’elle n’implique pas l’utilisation de molécules d’acide nucléique recombinant ou d’OGM [réglementés] ».
– L’annexe IA précise que sont réglementées « les techniques de recombinaison de l’acide désoxyribonucléique impliquant la formation de nouvelles combinaisons de matériel génétique par l’insertion de molécules d’acide nucléique, produit de n’importe quelle façon hors d’un organisme, à l’intérieur de tout virus, plasmide bactérien ou autre système vecteur et leur incorporation dans un organisme hôte à l’intérieur duquel elles n’apparaissent pas de façon naturelle, mais où elles peuvent se multiplier de façon continue ». Cette dernière précision permet de définir ce qu’est un acide nucléique recombinant dans l’esprit de la directive.
B) -Les techniques de mutagénèses ciblées mises en œuvre par ODM, méga-nucléases, nucléases à doigt de zinc, nucléases du système TALEN ou nucléases du système CRISPR (Cas9 ou Cpf1) peuvent être utilisées de différentes façons selon que ces outils moléculaires seront introduits dans la cellule par transgénèse, par expression transitoire des gènes correspondants ou par injection directe de la nucléase (et de son ARN guide dans le cas du CRISPR) ou de l’oligonucléotide (ODM).
Le choix dépend des possibilités techniques de la méthode et du type de cellule utilisable dans l’espèce végétale considérée. Dans tous les cas il est possible d’obtenir un produit final, directement ou après ségrégation génétique, sans incorporation d’acide nucléique recombinant capable de se multiplier de façon continue dans l’organisme hôte, ce qui est facilement démontrable par les techniques modernes de séquençage.