Avis adopté par l’Assemblée le 10 juin 2015
En complément de la contribution de l’Académie des technologies au projet de loi, et sans en modifier les analyses chiffrées, quelques avis sur le texte final de la loi ont été formulés au sein de l’Académie, qui doivent être ajoutés au dossier.
1. Nécessité d’optimisation économique : La triple priorité annoncée pour la croissance verte étant notamment de « lutter contre le changement climatique, combattre le chômage et réduire la facture énergétique de la France », il est clair que les considérations économiques sont au cœur des réflexions : or la somme des investissements impliqués par les développements envisagés par la loi (de l’ordre de 2 000 milliards d’euros d’ici 2050) est considérable par rapport à la capacité financière de la nation. Il faudra donc faire des choix et énoncer des priorités appuyées sur des arguments économiques et chiffrés, faute de quoi certaines filières seront financées à tort ou partiellement. Il serait au moins nécessaire de privilégier les investissements minimisant le coût de la tonne de carbone évitée, et de souligner le frein actuel à la réduction de ces émissions, dû au cours beaucoup trop bas du marché européen du CO2.
2. Cohérence des objectifs : Concernant les objectifs de réduction de la consommation d’énergie fossile, particulièrement dans l’habitat, et de mobilité moins dépendante du pétrole, notre Académie s’interroge sur la cohérence des objectifs revendiqués par le projet de loi, sur la base des deux piliers prioritaires que sont le développement des énergies renouvelables et les économies d’énergie :
1. Concernant le développement des énergies renouvelables (EnR), le projet de loi met un fort accent sur l’éolien et le solaire (aux côtés de l’hydraulique) sans rappeler que ces énergies sont intermittentes et qu’elles doivent être adossées à une source d’énergie disponible et mobilisable dans des temps très courts, notamment lors des baisses de production d’électricité.
2. De ce point de vue, il apparait très souhaitable que la baisse de la part du nucléaire dans le « mix » électrique soit adaptée aux réalités de la transition énergétique. D’abord, il convient de rappeler quelques fondamentaux éclairants pour le public, comme la structure des ressources d’énergie primaire françaises (263,9 Mtep en 20132):
- Les combustibles fossiles représentent 50% de cette énergie primaire, ils sont importés (65,8 Md€ en 2013) et c’est la principale source d’émission de gaz à effet de serre (GES).
- L’électricité d’origine nucléaire représente 42% de ces ressources primaires. Avec les EnR (hydraulique, éolien, solaire PV etc.), l’électricité a fourni sur le sol français (toujours en 2013) 506,2 TWh d’électricité décarbonée et est un peu exportée.
- Contrairement à ce qui est communément perçu, la part des énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie en France est du même ordre que celle de l’Allemagne (en 2013, 14,2 % en France et 12,3 % en Allemagne ). Les comparaisons faites seulement sur les EnR électriques seules sont trompeuses.
- L’objectif de réduire la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50% à l’horizon 2025 ne peut être atteint par la seule augmentation de la puissance installée en énergie renouvelable dans l’état actuel des technologies compte tenu des régimes de vents et de soleil dans l’hexagone. Cet objectif de 50% imposerait une augmentation de la production d’électricité d’origine fossile et donc une augmentation des émissions de CO2.
3. Le nucléaire permet à la France d’être parmi les premiers en émettant 5,52 t/an/habitant de CO2 (contre 9,32t/an en Allemagne) pour une consommation semblable d’énergie primaire par habitant. Cette performance est due à la structure de notre appareil de production d’électricité qui n’émet du CO2 que pour 10 % environ de sa production alors que presque partout dans le monde, la production d’électricité constitue la première source d’émissions de CO2. L’expérience allemande du développement rapide des EnR intermittentes (associé à la sortie programmée du nucléaire) conduit à une augmentation des émissions de gaz à effet de serre et à un coût élevé pour les consommateurs. Cela n’est pas cohérent avec les objectifs affichés par la loi.
4. Dans ce même cadre, le développement de la filière bois-énergie et celui des réseaux de chaleur paraissent singulièrement peu soutenus, malgré l’essor en cours du chauffage au bois. Aujourd’hui, la filière bois-énergie représente 43% des EnR3 alors que les EnR intermittentes (éolien + solaire) n’en représentent que 7%3 : or le rapport de la Cour des Comptes sur le développement des énergies renouvelables met en évidence que, pour une production donnée d’énergie, la biomasse (essentiellement le bois-énergie) reçoit quatre fois moins d’aides publiques que l’éolien et cinquante fois moins que le solaire.
5. Dans le cadre des économies d’énergie et de l’isolation des bâtiments, nous observons que la Réglementation Thermique 2012 , depuis sa mise en application, pénalise le vecteur électrique par rapport au vecteur gaz. Cependant les techniques actuelles de chauffage et de production d’eau chaude par l’électricité apportent des possibilités de stockage d’énergie intéressantes permettant des effacements des pointes de consommation. L’objectif de bâtiments à énergie positive, en construction comme en rénovation, ne correspond pas nécessairement à un optimum, mais devrait être évalué à l’aune de son rapport coût/avantage. Une priorité devrait être donnée d’abord à la réduction des pointes de demande d’électricité par un pilotage approprié de cette demande et à l’utilisation optimisée de la production électrique des énergies renouvelables intermittentes.
6. Dans le même cadre de l’isolation des bâtiments, nous observons que l’objectif de diminuer les émissions de gaz à effet de serre n’est pris en compte dans la RT 2012 qu’avec des arguments dont certains ne correspondent plus à la réalité d’aujourd’hui. Ces arguments nous semblent donc devoir être réanalysés dans la perspective de la future Réglementation Bâtiment Responsable 2020.