Académie des technologies

Marjorie Cavarroc

  • Expert en matériaux et procédés
  • SAFRAN
  • 42 ans
  • Parrainée par Michel Laroche en 2022

Pourquoi la tech ?

La tech s’est imposée d’elle-même ! Depuis toute jeune j’aime comprendre, bricoler, imaginer, construire… J’ai toujours eu des facilités à l’école et la physique en particulier m’a attirée dès la 4ème. Le reste du parcours s’est construit plus ou moins naturellement : je suis toujours allée vers ce qui m’attirait.

Votre parcours ?

Dès le lycée, je me suis orientée vers les sciences en choisissant l’option « IESP » (Informatique et Électronique en Sciences Physiques) en seconde. J’ai poursuivi en première S et terminale S, option physique. J’ai ensuite intégré une classe préparatoire PCSI (Physique Chimie Sciences de l’Ingénieur), et je n’ai vraiment pas accroché avec le modèle. J’ai rejoint l’université, en 2ème année de DEUG (Diplôme d’Études Universitaires Générales) Sciences de la Matière, à l’Université d’Évry Val d’Essonne. J’ai poursuivi en Licence, puis en Maîtrise Physique et Modélisation. J’ai ensuite intégré Polytech’Orléans, dans le cadre des premières admissions sur titre de l’école, en 4ème année de spécialité Électronique et Optique. J’ai suivi le DEA Fluides, Atmosphères, Plasmas en parallèle et poursuivi en thèse. J’ai un doctorat label européen, en Physique des Plasmas. J’ai repris les études pour préparer et soutenir mon HDR (Habilitation à Diriger des Recherches) en 2020.

Votre première expérience professionnelle dans la tech ?

Dès la fin de mon doctorat, on m’a proposé 6 mois de post-doctorat en vue de rejoindre un centre de transfert de technologie en cours de montage. J’y ai passé 5 années riches d’apprentissages. J’ai participé au montage du centre, dans le domaine des procédés plasma, avant d’en prendre la direction assez rapidement. Nous sommes passé en 2 ans, d’un bureau et une halle technique vides au sein d’une communauté d’agglomération, à une start-up équipée de deux moyens de transfert industriels et une équipe de 5 personnes. C’était une expérience à la fois effrayante, éprouvante et formidable, qui m’a amenée à « grandir » très vite. Et qui m’a convaincue, si cela était encore nécessaire, que mon avenir était dans la tech.

Que faites-vous aujourd’hui et pourquoi ?

Aujourd’hui, je suis ingénieur de recherche au centre de recherche du Groupe Safran, Safran Tech. Je suis en charge de 2 domaines : les couches minces par voies sèches, qui se rattache au traitement et à l’ingénierie des surfaces, et les matériaux pour la pile à combustible. Je suis actuellement experte société.
Je gère aussi le laboratoire de PVD (Physical Vapor Deposition) de Safran Tech, où je dispose d’une machine de dépôt parmi les plus performantes et les plus innovantes d’Europe aujourd’hui.
Je mène différentes recherches, souvent en collaboration avec des partenaires académiques et/ou industriels afin de développer des solutions innovantes. Je forme des jeunes, en France et à l’étranger, en alternance, en stages, en thèse. Mes recherches mènent à des dépôts de brevets, des publications, et de nouvelles applications dans le Groupe.
Mon expertise m’amène à travailler régulièrement avec les différentes sociétés du Groupe, afin de leur apporter mon support et c’est extrêmement riche. Cela me permet d’appréhender des pièces variées dans des domaines d’applications très vastes, de leur développement (R&T) à leur production et leur vie en service.

J’interviens aussi dans différentes feuilles de route du centre de recherche et/ou du Groupe : mes activités doivent servir la stratégie du Groupe, répondre à ses besoins, et permettre de préparer le futur.

Vos atouts pour ce poste ?

J’ai 10.000 idées à la minute… mais je suis extrêmement rigoureuse et pragmatique ! Je suis capable d’appréhender très rapidement un domaine nouveau, comme récemment les problématiques de surface liées au SARS-CoV2 par exemple. Je raisonne beaucoup par analogie, et donc par extension de ce que je fais, ou connais, dans un domaine à un autre domaine plus ou moins connexe.
Je comprends vite mais je suis aussi une grosse bosseuse, très organisée, ce qui me permet de gérer plusieurs projets en parallèle, en gardant une vision globale (et convergée) de tout ça.
J’ai aussi un réseau solide dans le monde académique et industriel, en France et à l’étranger, sur lequel je m’appuie pour développer mes idées, et trouver les compétences nécessaires pour avancer.

Vos défis passés, vos ratés, vos grands moments de solitude ?

Mon premier défi réussi, mon diplôme d’ingénieur ! Mon grand-père, ouvrier à l’imprimerie, m’encourageait à devenir ingénieure car j’étais douée à l’école. Et j’ai réussi, même si mon grand-père nous a quitté avant que je ne finisse le lycée.
Un raté, parmi tant d’autres… ma classe prépa : je n’ai absolument pas réussi à m’adapter au mode de fonctionnement, cette année a été très difficile pour moi. Un autre raté, plus sympathique celui-ci, je rêvais d’être pilote de chasse dans l’Armée de l’Air. J’ai donc passé les sélections en 2001, et je n’ai malheureusement pas réussi la fameuse épreuve du palonnier ! Mais je n’ai aucun regret, au moins j’ai tenté !
Un défi, mais aussi un grand moment de solitude… ma thèse. Un labo super, des collègues tops, un sujet passionnant… mais un environnement humain problématique (harcèlement). Ma forte personnalité, et le soutien de mes collègues, m’ont permis de mener à bien mon projet de thèse. J’ai au moins appris à m’affirmer et à tenir bon. J’ai paradoxalement fait une excellente thèse, avec 10 publications issues de mes travaux.
Un autre grand moment de solitude qui s’est mué en grand défi, l’annonce, par un chirurgien un peu maladroit « Madame, vous êtes lourdement handicapée, il va falloir vous y faire ». Malgré la présence de mon mari à mes côtés, je suis tombée au fond du trou. Puis le naturel est revenu au galop, j’ai sorti l’échelle, et je suis remontée (plus ou moins à cloche-pied !). Aujourd’hui mon handicap fait partie de notre vie, comme mon optimisme, mon humour et ma mauvaise humeur avant mon 2ème café du matin !
Des grands moments de solitude… souvent ! Quand mon cerveau part à la vitesse de la lumière et que je me rends compte que je viens de dire une énormité avant même d’avoir fini ma phrase ! Mais j’essaie de me soigner…

Vos meilleurs moments, les succès dont vous êtes fière ?

Mon meilleur moment, c’est tous les jours ou presque ! J’ai une vie professionnelle riche et passionnante et une vie personnelle tout aussi riche et passionnante.
Je suis fière de ma thèse, de mon HDR. Je suis fière de certaines de mes trouvailles dont je ne peux pas forcément parler pour le moment.
Je suis fière de mon fils et de mon mari : ils sont absolument géniaux. Pour paraphraser U2 « They are the best things about me ».
Globalement, et sans modestie aucune, je suis assez fière de moi, de mon parcours et de la vie que je me suis construite.

Des personnes qui vous ont aidée/marquée ou au contraire rendu la vie difficile ?

Certains profs m’ont marquée, la plupart dans le bon sens du terme, à l’exception notable de ma prof de chimie en classe prépa, qui m’avait gentiment dit que « j’étais nulle et que je ne ferai rien de ma vie ». Je regrette de ne pas me rappeler de son nom, j’adorerais lui envoyer mes diplômes et mon CV !
Un collègue harceleur a rendu ma thèse très difficile humainement. Heureusement, la justice, même si elle peut être longue, a fait son travail, et il a été condamné.
J’ai aussi rencontré des gens extraordinaires, qui ont su m’aider et me faire confiance tout au long de ma carrière. Je pense en particulier à un directeur de labo qui se reconnaitra, différents chercheurs qui m’ont encouragée, soutenue… Mais aussi mon premier directeur, différents mentors, qui ont su à la fois me donner de la liberté et me faire confiance, mais aussi m’amener à prendre conscience de mes défauts, de mes points faibles… Chacun(e) d’entre eux m’a apporté quelque chose et m’a aidée à progresser.
Au plan personnel, mon mari, qui me soutient et m’aide chaque jour à surmonter mon handicap et à avoir une vie (presque, à deux ou trois détails près) normale.

Vos envies et défis à venir ?

J’ai toujours envie de découvrir de nouvelles choses !
Mon prochain défi à court terme, partir quelques mois à l’étranger, en laissant ma famille en France. C’est une super opportunité d’aller travailler avec certains de mes collaborateurs, de façon différente. Mais ça reste difficile de laisser sa famille derrière soi.
Envie aussi de continuer à explorer de nouveaux domaines de recherches : les domaines à la frontière entre deux mondes me passionnent. J’ai récemment eu la chance de pouvoir travailler aux frontières de la physique et de la chimie de coordination, de la physique et de la virologie… J’attends avec impatience la prochaine opportunité de découvrir un nouveau domaine !

Et que faites-vous en dehors de votre travail ?

Je suis officier de réserve opérationnel au sein de la DGA (Direction Générale de l’Armement). Je consacre 15 à 20 jours par an à cette activité d’expertise au sein de l’Armée française.
Je joue de la contrebasse, au conservatoire et dans un orchestre symphonique. J’aime aller voir des concerts, des ballets, en famille.
Je fais (un peu) de sport. Avant que ma jambe ne me lâche définitivement, j’étais ceinture noire de karaté. Depuis, j’ai dû revoir mes ambitions sportives à la baisse ! Je fais principalement du yoga, un peu de randonnée.
Je lis énormément, plusieurs livres par semaine en général : beaucoup de fantasy, mis aussi des dystopies, des romans noirs, un peu tout ce qui me tombe sous la main ! Et des bandes dessinées. C’est une passion que nous partageons avec mon fils, il y en a quelques centaines à la maison.
Je partage aussi beaucoup de moments avec mon fils et mon mari, des sorties, un bon film en famille…
J’interviens aussi auprès des jeunes au sein de la fondation C Génial, qui a pour mission de développer l’appétence pour les sciences et les technologies chez les jeunes et leur faire découvrir les métiers associés. Je suis aussi Marraine « Elles bougent », association dont l’objet est d’attirer les jeunes femmes collégiennes, lycéennes et étudiantes vers les filières et carrières scientifiques, techniques, technologies et d’ingénierie, par la rencontre avec des femmes ingénieures.

Vos héroïnes (héros) de fiction, ou dans l’histoire ?

Dans la vraie vie : Caroline Aigle, première femme pilote de chasse à être affectée à un escadron de combat de l’armée de l’air française. Elle représente à la fois l’accomplissement et la place de la femme dans la société, à savoir très très haut. Irène Joliot-Curie, physicienne, chimiste, Prix Nobel, sous-secrétaire d’Etat à la recherche scientifique, commissaire du CEA nouvellement créé. Elle a dédié sa vie, au sens propre, à la recherche et à ses applications.
Dans la catégorie « manager » : le roi Arthur dans Kaamelott sans hésiter. Je suis convaincue que c’est le meilleur manager du monde ! Parfois je rêve de pouvoir manager comme lui, et dire ce qui me passe par la tête à mes collègues… Mais ce n’est pas dans les tendances actuelles du management !
Et forcément… Iron Man, le super héros de la tech ! Objectivement, il n’a rien pour faire de lui un héros. Si ce n’est une intelligence hors norme qui lui permet de développer des technologies fantastiques.

Votre devise favorite ?

« Parfois on regarde les choses telles qu’elles sont en se demandant pourquoi ? Parfois on les regarde telles qu’elles pourraient être en se disant pourquoi pas ? » (Gaëtan Roussel)
Une autre, un peu moins profonde (quoi que) « With magic you can turn a frog into a prince. With science, you can turn a frog into a PhD, and you still have the frog you started with. » (Terry Pratchett)

Un livre à emporter sur une île déserte ?

Les quatre volumes « Science of Discworld » sans hésiter ! Tout ce que j’aime : de la fantasy, de l’humour et de la science.

Un message ou un conseil aux jeunes femmes ?

OSEZ ! Personne ne sait mieux que vous ce dont vous avez envie et ce dont vous êtes capable. Ne laissez pas les gens décourageants avoir prise sur vous. Fuyez-les et entourez-vous de gens motivants, bienveillants qui croient en vous et vous tirent vers le haut.
Dans la vie, il y a des hauts et des bas, le parcours peut être semé d’embûches, mais lorsque l’on arrive là où on a envie d’être, on ne regrette pas les efforts fournis.

LE QUESTIONNAIRE
DU CHATELET

Le questionnaire auquel répondent les Femmes de tech est une variante du questionnaire de Proust, ainsi nommé non pas parce que Marcel Proust se serait égaré dans le métro parisien, mais en mémoire d’Emilie du Chatelet, femme de lettres, mathématicienne et physicienne, renommée pour sa traduction des Principia Mathematica de Newton et la diffusion de l’œuvre physique de Leibniz. Elle fût membre de l’Académie des sciences de l’Institut de Bologne. Emilie du Chatelet mena au siècle des Lumières une vie libre et accomplie et publia un discours sur le bonheur.

Emilie Du Chatelet

Femme de lettre, mathématicienne, physicienne

1706 - 1749