Le questionnaire auquel répondent les Femmes de tech est une variante du questionnaire de Proust, ainsi nommé non pas parce que Marcel Proust se serait égaré dans le métro parisien, mais en mémoire d’Emilie du Chatelet, femme de lettres, mathématicienne et physicienne, renommée pour sa traduction des Principia Mathematica de Newton et la diffusion de l’œuvre physique de Leibniz. Elle fût membre de l’Académie des sciences de l’Institut de Bologne. Emilie du Chatelet mena au siècle des Lumières une vie libre et accomplie et publia un discours sur le bonheur.
Pourquoi la tech ?
Une carrière en Tech… mon orientation vers la technologie était une évidence en fait. Je suis une fille de mécanicien et j’étais sous les voitures avec mon père tout le temps que je pouvais. C’était pour moi, la suite logique de travailler sur des boosters de fusée. J’ai toujours aimé les sciences et les langues.
Votre parcours ?
J’ai une formation universitaire en chimie physique puis moléculaire et biomoléculaire à Montpellier et une spécialisation Master Science Technique de la Matière et de l’Énergie à Toulouse puis, une formation d’expert en conduite de génie logiciel à Paris.
J’ai été ingénieure qualité logiciel chez Hispano Suiza sur les calculateurs d’avion puis ingénieure sur le Programme de Vol de la fusée Ariane 5 au CNES. Chez Arianespace, j’étais responsable de production des boosters, étage d’accélération à poudre et des systèmes électriques pour Ariane, Vega et Soyuz puis, mutée en Guyane Française, je suis devenue cheffe d’équipe de lancement sur le Centre Spatial Guyanais. Après cette belle expérience au CSG, je me suis envolée vers les Pays Bas pour travailler au sein d’Airbus Defence and Space NL sur les panneaux solaires des satellites et en particulier actuellement, sur ceux qui équipent le module de service européen (ESM) de la capsule/vaisseau spatial ORION. Il s’agit du programme Artemis de la NASA qui a pour objectif de repartir visiter le satellite naturel de Terre ; pas seulement pour quelques jours, mais pour établir les bases d’un avant-poste humain avec équipage permanent à long terme. D’ailleurs, l’un de ces vaisseaux emmènera bientôt une femme de couleur sur la Lune. (c’est tout un Symbole !)
Votre première expérience professionnelle dans la tech ?
J’ai toujours baigné dans la technologie. Au-delà des fusées, des cargos ATV ou du service de module Européen du vaisseau spatial ORION, j’ai aussi fait de la recherche pendant mes stages d’étude comme au Laboratoire de Réactivité de Surface à Paris sur les nanoparticules d’or pour établir une méthode chimique de catalyse hétérogène ou mon expérience au CRBA (Centre de Recherche de Biopolymères Artificiels) de Montpellier sur le développement d’un matériau (copolymère) efficace à l’accélération de la prolifération de tissus humains servant à la médecine moderne.
Que faites-vous aujourd’hui et pourquoi ?
Je suis ingénieure d’assurance produit et cheffe d’équipe à Airbus Defence and Space aux Pays Bas. Les fonctions transverses me permettent de pouvoir toucher à toutes les disciplines scientifiques. Lié à mes origines d’une île diverse et multiculturelle, La Réunion, j’apprécie mon évolution dans un milieu international et anglophone en étant en relation avec des collègues, des fournisseurs et des clients de différentes nationalités. Je suis ambitieuse et j’aimerais plus tard prendre la direction d’un service ou d’un département. Je pense être bien lancée, sur le chemin de la vie que je souhaite avoir.
Vos atouts pour ce poste ?
Mon premier atout est ma confiance en moi. Je connais mes compétences et mes limites et je suis consciente que je peux surprendre les gens par ma confiance en moi. Je suis une personne fiable sur qui on peut compter. je suis impliquée dans tout ce que j’entreprends et je vais au bout de mes engagements.
J’ai une bonne interaction avec mon équipe. J’en prends soin afin d’être efficace collectivement. Je n’hésite pas à me dresser et parler haut pour protéger mon équipe. Je ne supporte pas les injustices.
Je suis créative, j’ai une très bonne attitude de coopération/collaboration et je suis pragmatique en cherchant toujours à résoudre les problèmes.
Vos défis passés, vos ratés, vos grands moments de solitude ?
Face aux différents défis que j’ai toujours relevés dans ma vie, j’ai un degré de résilience et de courage très élevé. Je sais évoluer en me plaçant hors de ma zone de confort pour pousser mes limites.
Le plus grand défi professionnel que j’ai relevé jusqu’ici est d’avoir dirigé une équipe composée essentiellement d’hommes pendant les campagnes de lancement de fusée à Kourou. J’ai douté et ma première campagne de lancement m’a semblé difficile. J’avais la pression mais j’ai compris que si mon directeur m’avait confié cette responsabilité alors je ne pouvais qu’être à la hauteur. J’ai retroussé mes manches et nous avons réalisé de nombreux lancements de fusée avec succès.
Mon échec est de ne pas avoir su choisir un partenaire de vie qui puisse être à mes côtés pour avancer dans la même direction. Ce qui m’a amenée à être mère célibataire de 2 jeunes enfants très tôt pendant ces 10 dernières années. Ce qui complique l’organisation de la vie en tant que femme, mère solo et femme active dans un domaine si passionnant.
J’ai ressenti plus d’une fois des moments de solitude. Mais, mon mode de vie m’a permis de faire de merveilleuses rencontres comme des astronautes ou d’autres ingénieurs.
Vos meilleurs moments, les succès dont vous êtes fière ?
Chaque jour est un réel bonheur. Aucune de mes journées ne se ressemble. Néanmoins, parmi les jours qui ont véritablement illuminé mon cœur il y a eu ceux où j’ai donné la vie à mon fils Antony et à ma fille Annahe, et aussi celui où je fus récompensée aux Talents d’Outre Mer en 2015 . La réalisation d’un film documentaire biographique avec une diffusion officielle en 2023 m’a apporté une grande satisfaction. J’espère qu’un prochain succès viendra de la création d’une académie du spatial à la Réunion pour sensibiliser, éduquer et former des entrepreneurs du spatial.
Des personnes qui vous ont aidée/marquée ou au contraire rendu la vie difficile ?
De nombreuses personnes m’ont accompagnée dans ce parcours de vie, d’abord mes parents, puis, mes professeures d’anglais et d’allemand au collège de l’Etang, Réunion, puis, mon professeur de Sciences Physiques au lycée Louis Payen, Réunion. Catherine Louis m’a formée et inspirée par sa bienveillance lors de mon stage de fin d’étude au Laboratoire de Réactivité de Surface à Paris. Daniel Groult, mon ancien directeur à Arianespace, a fait grandir ma confiance en moi. Lorsque j’ai rencontré Claudie Haigneré, j’ai été encouragée par son élégance de pensée.
Vos envies et défis à venir ?
La prochaine étape de ma vie est de poursuivre mon développement pour devenir directrice d’un département ou service d’une entreprise ou d’une agence spatiale et en parallèle de monter ma propre entreprise et la créer avec et pour mes enfants (https://velio.space). Je suis en train de verrouiller ma marque et lancer une gamme de produits liés à ma marque.
Et peut-être que la vie m’offrira la possibilité de devenir ministre ou d’être la première femme de couleur Présidente de la République française ?
Parmi mes autres envies ou défis plus réalisables, je voudrais écrire un/des livre(s) sur les nanosatellites, sur la recherche spatiale et sur les sciences en général.
Et que faites-vous en dehors de votre travail ?
J’aime faire de la moto, de la marche et de la plongée. Je donne aussi de mon temps à des associations CASODOM, U3P, PIKALI, 3AF, Woman In Aerospace, Elles Bougent…
Vos héroïnes (héros) de fiction, ou dans l’histoire ?
Mon héroïne est Laureline (de la bande dessinée de Science-Fiction Valérian et Laureline) pour plusieurs raisons liées à la science-fiction dans l’espace mais aussi car l’impact de sa présence dans l’histoire a modifié même le titre de la BD. Laureline est très atypique et a un fort caractère qui la rend complémentaire de Valérian dans leur rôle d’agents de Service de l’Espace-Temps.
Votre devise favorite ?
Ma devise est en kréol réunionnais : “pa kapab lé mor san essayé”, cela signifie qu’il est difficile en effet de savoir de quoi on est capable si l’on n’a pas testé nos capacités. Cette formule illustre une détermination sans faille à affronter certaines situations.
Un livre à emporter sur une île déserte ?
J’aurais pu dire un livre de “Bernard Werber, le papillon des étoiles” mais je vais répondre définitivement : un cahier de notes aux pages blanches et mon stylo pour écrire mon histoire et chaque aventure que je vivrais sur cette île déserte : décrire et dessiner les problématiques rencontrées et les solutions possibles.
Un message ou un conseil aux jeunes femmes ?
Je le dis et continue à le dire à toutes et tous, croyez en vous et osez être vous-même, cela donnera l’espace nécessaire à d’autres pour qu’ils se sentent en sécurité à être juste eux-mêmes.