Le questionnaire auquel répondent les Femmes de tech est une variante du questionnaire de Proust, ainsi nommé non pas parce que Marcel Proust se serait égaré dans le métro parisien, mais en mémoire d’Emilie du Chatelet, femme de lettres, mathématicienne et physicienne, renommée pour sa traduction des Principia Mathematica de Newton et la diffusion de l’œuvre physique de Leibniz. Elle fût membre de l’Académie des sciences de l’Institut de Bologne. Emilie du Chatelet mena au siècle des Lumières une vie libre et accomplie et publia un discours sur le bonheur.
Pourquoi la tech ?
J’ai toujours apprécié les disciplines scientifiques, notamment la biologie initialement. J’ai découvert la programmation en classe préparatoire et cela m’a beaucoup plu de comprendre comment faire faire ce que je voulais à un ordinateur.
Votre parcours ?
Après un baccalauréat scientifique, j’ai fait une classe préparatoire en biologie (BCPST). Je souhaitais faire de la recherche en biologie médicale à cette époque et je voulais intégrer l’École normale supérieure (ENS). Il m’a fallu 3 ans de classe préparatoire pour y arriver. J’étais ensuite enchantée par la diversité des matières proposées en ouverture à l’ENS : cela m’a permis de découvrir l’économie ou l’histoire des sciences, mais aussi les sciences cognitives. J’ai décidé de poursuivre mes études dans ce domaine pour mieux comprendre le fonctionnement du cerveau humain. J’ai fait une thèse après ma scolarité à l’ENS pour mieux comprendre comment notre cerveau interprète ce qu’il perçoit. J’ai trouvé cette expérience passionnante. À la fin de mon doctorat, j’ai néanmoins décidé de ne pas poursuivre dans la recherche académique car j’aimais beaucoup la science mais moins les contraintes de la recherche (le temps très long, la recherche de financement, l’obligation de publications…). J’ai donc décidé d’aller travailler en entreprise, alors que je ne connaissais rien à ce milieu ! C’était un défi pour moi mais en prenant le temps de réfléchir à ce qui me plaisait, j’ai finalement pris un poste de data scientist chez Kernix, une entreprise qui montait une entité de conseil en data science. J’ai ensuite rapidement été amenée à diriger l’équipe avec un autre data scientist. Cela a été une expérience très enrichissante avec une multitude de sujets. J’ai ensuite rejoint Kering, le groupe de Gucci, Saint Laurent, Balenciaga et d’autres marques de luxe, pour créer une équipe de data science au sein du groupe. Enfin, j’ai eu l’opportunité d’étendre mes responsabilités aux autres équipes qui apportent des expertises data aux marques sur l’analyse de données et la business intelligence.
Votre première expérience professionnelle dans la tech ?
Mon expérience chez Kernix est celle que je considère comme ma première expérience dans la tech. Je venais de la recherche et j’intégrais une entreprise dont le cœur de métier était le développement web. C’était une expérience très enrichissante, où j’ai énormément appris, notamment d’un point de vue technique. Le responsable technique m’a permis d’améliorer la qualité de mon code, j’étais en contact quotidien avec les équipes en charge de la production et j’échangeais aussi avec les développeurs. J’ai vraiment découvert ces métiers et les enjeux de la tech grâce à cette expérience.
Que faites-vous aujourd’hui et pourquoi ?
Aujourd’hui, j’ai la charge de 5 équipes qui apportent des expertises variées sur l’usage de la donnée aux marques du groupe Kering. J’ai saisi cette opportunité car c’était pour moi l’occasion d’être confrontée à des problématiques plus vastes, d’un point de vue technique (j’ai par exemple appris beaucoup de choses sur la business intelligence que je ne connaissais pas du tout lors que je n’étais responsable que de la partie data science), mais aussi d’un point de vue managérial (j’ai découvert comment encadrer d’autres managers).
Vos atouts pour ce poste ?
J’ai une bonne capacité à gérer de nombreux sujets en parallèle et à trouver le bon niveau de détails où il faut que j’aille pour être pertinente pour mes équipes. Par ailleurs, j’ai une bonne capacité d’empathie (je crois que le fait d’être maman m’a aidé à la développer) et cela me permet d’aider mes équipes à se développer, tout en détectant rapidement les problèmes ou les points de friction qu’il faut résoudre avant qu’ils ne deviennent trop importants.
Vos défis passés, vos ratés, vos grands moments de solitude ?
L’un des grands moments de solitude que j’ai connus c’était à la fin de ma thèse quand je savais que je ne souhaitais pas poursuivre une carrière académique mais que je ne savais pas du tout quelles pouvaient être mes options. Je passais 2h par semaine à réfléchir à la suite et il y a eu de longs moments de solitude sur le thème « qu’est-ce que je vais faire de ma vie ». Ensuite, j’ai évidemment mené des projets qui ne fonctionnaient pas comme je le souhaitais et j’ai dû me confronter aux clients pour expliquer la complexité qu’on rencontrait dans les données. Mais ces difficultés étaient plutôt des opportunités d’apprentissage pour trouver la meilleure façon de travailler ensemble pour les former en même temps à la data science et sortir du mythe de l’outil magique.
Vos meilleurs moments, les succès dont vous êtes fière ?
J’ai eu la chance d’en connaître beaucoup, notamment parce que j’ai toujours travaillé dans des équipes très chaleureuses. La dimension humaine du travail est quelque chose de clé pour moi. J’ai eu l’opportunité de travailler sur les sujets de diversité et inclusion au sein de Kering. Cela a été une source de rencontres très enrichissantes et j’ai beaucoup appris, notamment d’un point de vue managérial, en travaillant sur ce sujet. En termes de succès, il y a deux dimensions. La première ce sont des projets qui ont été mis en place et qui simplifient vraiment la façon de travailler des personnes concernées. La seconde c’est lorsque je regarde les équipes que j’ai formées et que je vois leurs membres vraiment contents de travailler sur ces sujets avec ces collègues-là. C’est toujours difficile en tant que manager d’avoir des retours positifs, alors que lorsque l’on code, on sait tout de suite si ce qu’on a fait fonctionne. C’est donc d’autant plus satisfaisant de se rendre compte quand une équipe fonctionne bien ensemble, même si c’est toujours difficile de savoir ce qui est vraiment lié à ce qu’on a fait.
Des personnes qui vous ont aidée/marquée ou au contraire rendu la vie difficile ?
J’ai la chance d’avoir eu un magnifique role model avec ma mère qui a fait une très belle carrière dans la recherche en mathématiques appliquées tout en ayant 5 enfants. Rien ne me paraissait donc compliqué lorsque j’étais petite ! J’ai ensuite eu la chance de rencontrer des personnes incroyables dans toutes mes expériences et j’ai appris énormément à leur côté. J’ai eu par exemple l’opportunité de créer l’équipe de data science chez Kernix en duo avec l’un de mes collègues. J’ai adoré cette expérience car nous pouvions apprendre ensemble le rôle de manager, se poser des questions, échanger des idées, sans relation hiérarchique. C’est rare lorsque l’on a des rôles managériaux où je trouve que l’on a moins la notion d’équipe avec ses pairs et j’ai trouvé cela précieux.
Vos envies et défis à venir ?
À moyen terme j’aimerais utiliser mon expérience dans l’utilisation des données pour contribuer à un projet à plus fort impact sociétal ou bien écologique.
Et que faites-vous en dehors de votre travail ?
En dehors du travail, je passe beaucoup de temps avec mes filles de 6 ans et 1 an et demi. J’adore les voir grandir et changer de jour en jour. Je suis par ailleurs une grande gourmande ! J’aime bien parfaire ma connaissance des restaurants et des bonnes pâtisseries de Paris.
Vos héroïnes (héros) de fiction, ou dans l’histoire ?
J’admire beaucoup Rosa Parks pour son courage dans le refus de l’humiliation.
Votre devise favorite ?
« Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément ». Je trouve que Boileau a parfaitement exprimé ce vers quoi il faut tendre quand on restitue une analyse de données.
Un livre à emporter sur une île déserte ?
J’adore les polars, notamment ceux de Fred Vargas, mais un seul ne me suffirait pas sur une île déserte !
Un message ou un conseil aux jeunes femmes ?
Ne laissez pas les hommes définir seuls les solutions de demain. La tech est au cœur de nos vies et si on ne participe pas à la création des produits tech en mettant les mains dans le code et dans les modèles, les biais actuels seront présents aussi dans la tech. Vous avez une autre vision du monde qu’il faut aussi intégrer au sein des produits tech. Par ailleurs, de façon pragmatique, c’est un secteur où il y a beaucoup d’opportunités professionnelles et où les salaires sont élevés, ce serait dommage de vous priver !