Le questionnaire auquel répondent les Femmes de tech est une variante du questionnaire de Proust, ainsi nommé non pas parce que Marcel Proust se serait égaré dans le métro parisien, mais en mémoire d’Emilie du Chatelet, femme de lettres, mathématicienne et physicienne, renommée pour sa traduction des Principia Mathematica de Newton et la diffusion de l’œuvre physique de Leibniz. Elle fût membre de l’Académie des sciences de l’Institut de Bologne. Emilie du Chatelet mena au siècle des Lumières une vie libre et accomplie et publia un discours sur le bonheur.
Pourquoi la tech ?
J’ai toujours été curieuse, eu envie de comprendre comment fonctionne les choses.
Petite je voulais être « inventeur », j’aimais les mathématiques, je voulais
construire un robot… Mais je crois que ce qui m’intéresse le plus n’est pas la
technologie en soi, mais les applications qui sont rendues possibles grâce à elle, les
associations que l’on peut faire entre plusieurs technologies pour aller encore plus
loin.
Votre parcours ?
Bonne en matières scientifiques, je me suis naturellement orientée vers une prépa
maths puis une école d’ingénieur. Mon côté « touche-à-tout » m’a poussé à choisir
une école généraliste. C’est ensuite un peu par hasard et surtout grâce à des
rencontres que j’ai enchaîné avec une thèse effectuée au sein d’un grand groupe
de BTP, Bouygues Construction, sur le développement de solutions d’isolation
thermique.
Votre première expérience professionnelle dans la tech ?
En arrivant dans le milieu de la construction, j’ai senti un réel décalage entre
l’utilisation des technologies telle que je l’avais apprise à l’école (où le cursus
incluait l’usage d’outils numériques pour l’industrie), et ce qu’il se passait sur un
chantier. J’ai eu alors l’envie de travailler à combler ce retard qu’avait pris le
secteur de la construction en matière de digitalisation mais aussi
d’industrialisation, d’automatisation… Le premier projet que j’ai alors poussé
portait sur la fabrication additive appliquée à la construction. Il a débouché sur un
programme de travail de plus grande ampleur autour de la Construction 4.0. C’est à
ce moment que mes sujets de recherche ont inclus de plus en plus de sujets tech.
Que faites-vous aujourd’hui et pourquoi ?
Je suis en charge d’un département R&D de Bouygues Construction, qui vise à
développer des solutions numériques pour aider nos métiers, notamment en phase
de conception. Nous développons ainsi des outils pour faire des choix de conception
optimisés, pour simuler ou prédire en amont le comportement des ouvrages, mais
aussi pour construire mieux et conformément à ce qui était prévu grâce à de la
réalité virtuelle ou augmentée.
Vos atouts pour ce poste ?
Ma curiosité d’abord m’a permis de me lancer dans un domaine qui n’était pas le
mien (informatique, data, IA…), ensuite il faut un peu de passion, de cœur, pour
pousser des sujets de transformations. Enfin, vu la diversité des sujets, je pense
que mon atout principal est d’accepter que mes équipes soient plus expertes que
moi dans leurs domaines, et de faire confiance à leurs analyses, tout en étant
capable de les challenger.
Vos défis passés, vos ratés, vos grands moments de solitude ?
Des frustrations plutôt : parce que quand on porte des sujets avec passion, il y a
des moments où on trouve que les choses n’avancent pas assez vite, on ne
comprend pas que les gens n’adhèrent pas plus, on aimerait davantage de soutien…
Mais ça fait partie de l’apprentissage de comprendre que le temps de l’entreprise
est différent du sien. Et puis quand on regarde en arrière, on se rend compte que
les chosent se sont finalement faites et ont même parfois dépassé nos attentes.
Vos meilleurs moments, les succès dont vous êtes fière ?
Avoir réussi à lancer un partenariat de recherche d’ampleur avec mon ancienne
école. Nous partions de zéro, nous proposions un nouveau modèle de collaboration, sur des sujets vraiment innovants. C’était un vrai challenge de convaincre
l’entreprise d’y aller !
Des personnes qui vous ont aidée/marquée ou au contraire rendu la vie difficile ?
Beaucoup de personnes m’ont aidée, dans le cercle familial, amical ou
professionnel ! Mon directeur de thèse ainsi que les différents managers que j’ai pu
avoir m’ont permis de grandir, de comprendre, de m’inspirer de certaines de leurs
pratiques, et parfois de me remettre en question. Des collègues m’ont aussi donné
beaucoup d’énergie et d’envie pour agir. C’est le cocktail de toutes ces actions de
mon entourage qui m’a peu à peu guidé. Je veux citer aussi mon mari, car pour
mener de front une carrière et une vie de famille avec nos trois enfants, l’entraide
est capitale et quotidienne entre nous.
Vos envies et défis à venir ?
J’aimerais aller plus loin sur les sujets liés à la transition écologique et aux enjeux
carbone. Je suis convaincue qu’il faut faire bien plus pour lutter contre le
réchauffement climatique, l’extinction de la biodiversité, la pollution croissante…
Je m’y implique à titre personnel et associatif, mais j’aimerais intégrer davantage
ces enjeux à mon activité professionnelle.
Et que faites-vous en dehors de votre travail ?
Je consacre du temps à ma famille d’abord, et en particulier à mes trois jeunes
enfants. Ensuite, je pratique deux activités régulières : le potager, qui est le lieu
où je me ressource, et le football, là où je me dépense.
Vos héroïnes (héros) de fiction, ou dans l’histoire ?
Je n’ai pas un ou une seul(e) héros/héroïnes, je pense que l’on peut s’inspirer de
beaucoup de personnes formidables, connues ou inconnues, et qu’il ne faut pas
tomber dans le culte de la personne. De manière générale, j’aime les personnes qui
ont défendu des causes majeures avec courage : Nelson Mandela, Rosa Parks,
Simone de Beauvoir, ou plus récemment Greta Thunberg et bien d’autres. Je suis
aussi admirative des gens qui se donnent tous les moyens de réussir par le travail et
le dépassement de soi, comme certains grands sportifs, artistes ou entrepreneurs.
Votre devise favorite ?
« Il faut choisir ses combats ». Je suis une battante, mais j’ai appris que l’on peut
vite s’épuiser en se dispersant. Choisir ce qui est essentiel et se battre pour cela. Si
le reste est secondaire, on peut laisser tomber sans risques.
Un livre à emporter sur une île déserte ?
Je suis pragmatique, alors j’emmènerais un livre qui m’assure de pouvoir apprendre
à me débrouiller seule sur une île déserte ! Sinon j’emmènerais bien « Une brève
histoire du temps » de Stephen Hawking car il fait partie de ma liste de livre.
Un message ou un conseil aux jeunes femmes ?
Restez vous-même, ancrées dans vos valeurs, votre style. Ne vous sentez pas
obligées d’agir comme votre entourage si ça ne vous correspond pas, et notamment
d’acquérir des comportements virilistes qui ne feront pas évoluer le système.
Cultivez votre différence.