Nous sommes entrés dans une ère de mutation et de risques majeurs vis-à-vis desquels les apports de la science et de la technologie (S&T) seront essentiels pour fournir des réponses opérationnelles. À la curiosité et l’aptitude naturelles des enfants à découvrir et à chercher à comprendre le monde qui les entoure, s’ajoute en effet, depuis plusieurs années, une nécessité de mieux appréhender les connaissances scientifiques et technologiques qui sous-tendent de nombreuses questions de société fortement liées à leur avenir.
Partant du constat de la place jugée à cet égard insuffisante des sciences de la nature et de l’observation, de la technologie et de la science informatique dans l’école primaire d’aujourd’hui, ce rapport cherche à en identifier les causes actuelles et à proposer des solutions pour remédier à cette situation préoccupante. Il montre notamment combien cet ensemble S&T est peu présent dans la formation initiale et dans le développement professionnel des enseignants, tout au long de leur carrière.
Sans traiter de l’enseignement des mathématiques sur le fond, le rapport souligne l’importance de ne pas isoler cet enseignement, et cela, dès le plus jeune âge. Il prend également acte de la présence désormais considérable du numérique et de l’écologie dans la vie sociale. Il ne s’agit pas de revendiquer plus de S&T, mais un meilleur respect des horaires et plus d’intégration avec les mathématiques.
Après deux décennies de progrès, où l’on avait assisté à une réintroduction – certes modeste – de S&T à l’école primaire –, on constate depuis quelques années une phase de régression de cet enseignement.
Pourtant, les actuels programmes des cycles 1, 2 et 3 fixent à l’enseignement de S&T des objectifs qui sont globalement adaptés au monde contemporain. Les auditions effectuées dans le cadre de ce rapport, ainsi que diverses études qu’il cite montrent que la « réalité du terrain » est autre. Les programmes ne sont dans les faits que partiellement suivis, les compétences à travailler le sont souvent de façon lacunaire. Rares sont les enfants qui sont exposés à la cohérence globale d’un enseignement de S&T. Dès la petite enfance, ils se retrouvent le plus souvent confrontés à une approche disciplinaire et parcellaire.
Deux raisons principales expliquent la situation observée :
- D’une part, des directives ministérielles contribuent à cet état de fait. En conférant, à juste titre, une place importante aux enseignements du français et des mathématiques, ces directives sont restrictives par rapport aux objectifs du socle commun de connaissances, de compé- tences et de culture.
- D’autre part, les professeurs des écoles ne sont pas, dans l’ensemble, suffisamment prépa- rés pour assurer l’enseignement de S&T, en ayant une confiance suffisante en eux-mêmes. Ils sont en effet majoritairement issus de formations non scientifiques. Ce déficit n’est actuel- lement compensé ni par une formation initiale adéquate, ni par une formation continue à la hauteur des enjeux.
L’ensemble de ces observations souligne la complexité et la difficulté d’enseigner la S&T par des pro- fesseurs d’école dans leur environnement de travail.
Face à ce constat et à ces enjeux, l’Académie des sciences et l’Académie des technologies ont constitué un comité mixte, composé de six de leurs membres, pour établir un rapport sur la situation de l’enseignement de S&T dans les classes de l’école primaire, sur le recrutement actuel des professeurs des écoles, ainsi que sur leur formation initiale et continue dans ces disciplines. Fruit de nombreuses auditions étayées par des analyses de données, le présent rapport expose les principales conclusions de ce travail. À l’attention des pouvoirs publics, il formule des recommandations pour remédier à une situation jugée préoccupante pour l’avenir des jeunes élèves, dans le contexte scientifique, environne- mental et sociétal actuel.
Sur l’enseignement de S&T à l’école primaire
Le rapport rappelle, à l’attention des pouvoirs publics, l’importance et la nécessité d’un enseignement pour tous les élèves, portant sur les sciences de la nature (expérimentales et d’observation), l’informa- tique et les technologies (sciences de l’ingénieur), et ceci, dès le plus jeune âge. Cet enseignement devrait constituer un support expérimental et pratique aux mathématiques et ne devrait donc pas être dissocié de leur enseignement. La science, pour exister, nomme le monde et n’existe pas sans un langage précis. Aussi, elle doit avoir un lien avec l’enseignement du français et de la langue, ainsi qu’avec l’ensemble des autres matières (histoire, géographie, arts…).
- Pour préparer les enfants à un monde à forte composante scientifique et technologique, installer dès l’école primaire de solides notions en S&T, structurer les connaissances corres- pondantes, développer un esprit critique et fonder une démarche scientifique.
- Pour renforcer et s’approprier les connaissances dites « fondamentales », s’appuyer sur des exemples et des notions de S&T dans l’enseignement des mathématiques et l’apprentissage de la langue.
- Pour mieux mobiliser les élèves, mettre en œuvre des séquences pédagogiques qui alternent des activités ponctuelles de S&T et des projets interdisciplinaires.
- S’appuyer sur les thèmes environnementaux pour développer un enseignement de S&T dans les écoles et mettre en place une approche interdisciplinaire.
- Mieux intégrer les thématiques informatique et numérique dans l’enseignement de S&T à l’école primaire, ainsi que dans la formation des enseignants.
Sur la formation initiale des professeurs et les premières années d’exercice du métier
Le rôle et les compétences professionnelles des professeurs sont centraux pour développer la place accordée aux sciences dans l’éducation des enfants. Il en ressort une recommandation préalable à toute autre : faire de la science et technologie un enjeu important dans la formation initiale des futurs profes- seurs et lors des premières années de métier (formation continuée).
- Organiser la montée en compétences des professeurs pour l’ensemble des connaissances de S&T qu’ils auront à enseigner, dans un continuum s’étendant de la licence aux premières années dans le métier, de manière à mieux articuler la formation initiale et la formation continuée.
- Lors du concours d’entrée en Institut national supérieur du professorat et de l’éducation (INSPÉ), introduire un lien explicite entre mathématiques et S&T au sein de l’épreuve écrite disciplinaire de mathématiques, tout en maintenant la présence de S&T parmi les trois options de l’épreuve écrite d’application.
- Proposer dans les INSPÉ un parcours de formation modulable qui tienne compte du profil et des besoins des étudiants se destinant à la carrière de professeur, en particulier une forma- tion en S&T adaptée aux étudiants issus d’études littéraires ou de SHS. À cette fin, mettre en place un système comparable à celui des « blocs de compétences », pratiqué pour la formation professionnelle des entreprises. La démarche pourrait être expérimentée, dans un premier temps, dans une ou deux académies.
- Assouplir le référentiel de formation du 28 mai 2019 et la contrainte des 55 % du temps de forma- tion dédiés aux « fondamentaux » ; augmenter le nombre d’heures en science et technologie dans les maquettes de formation des INSPÉ.
- Intégrer en licence des unités d’enseignement prenant en compte l’acquisition progressive de toutes les connaissances nécessaires à l’enseignement de S&T, et développer progressivement la maîtrise de la pédagogie associée.
- Renforcer et institutionnaliser des liens réguliers et constructifs entre personnels des rectorats et des INSPÉ pour une meilleure complémentarité entre le master et la formation continuée.
- Dans les premières années d’exercice du métier (formation continuée), mettre en place des forma- tions progressives en S&T, inscrites dans la réalité de la classe, avec une gradation sur plusieurs niveaux d’appropriation, permettant au futur enseignant ou à l’enseignant de se repérer dans sa progression.
Sur la formation continue
La formation continue est essentielle pour compléter une formation initiale et continuée souvent lacunaire, et permettre une actualisation des connaissances et des compétences scientifiques tout au long de la carrière. Elle permet d’inscrire la formation des professeurs dans une logique de développement professionnel et personnel.
- Proposer une formation systématique des enseignants du premier degré en S&T par une approche collégiale, locale et progressive.
- Développer significativement l’offre de formations scientifiques et technologiques proposée aux professeurs des écoles, notamment en lien avec des grands enjeux actuels : développement durable, changement climatique, préservation de la biodiversité, diffusion de l’informatique et des technologies numériques, esprit critique.
- Développer la culture (« littératie ») numérique des enseignants et des futurs enseignants, afin de leur permettre de se former à distance ou en autonomie, et de participer, où qu’ils se trouvent, à des collectifs d’apprentissage, notamment dans le champ des S&T.
- Donner plus d’initiative aux professeurs en s’inscrivant dans une démarche d’établissement ou de circonscription, pour définir leurs besoins de formation en S&T. Les heures et les contenus de formation obligatoire pourraient être décidés à différents niveaux (hiérarchie/école/ besoins personnels), en tenant compte du cursus antérieur du professeur, du projet d’école, des activités de la classe…
- Proposer des éclairages scientifiques et des contacts avec les acteurs de la science, tout au long de la carrière des enseignants, en encourageant et en reconnaissant comme faisant partie d’une activité professionnelle l’intervention de scientifiques et de représentants d’entreprises technologiques dans des formations, la production de ressources pédagogiques ou des projets dans les classes.
- Accroître les moyens de remplacement des professeurs en formation, véritable frein dans l’organi- sation d’actions de développement professionnel.
- Doter les circonscriptions, voire les écoles, d’un budget pour financer des formations et acheter du matériel pédagogique.
Sur l’accompagnement en classe
La vie collective, ainsi que le partage sur les pratiques pédagogiques et les didactiques disciplinaires sont trop peu développés au sein de la communauté des professeurs des écoles, qui expriment peu les diffi- cultés qu’ils rencontrent dans la classe.
- Introduire des temps de travail partagé (coenseignement) entre professeurs de formations initiales différentes, pour bénéficier de la valence scientifique d’un des professeurs. S’appuyer autant que possible sur les ressources de l’école, de la circonscription et des collèges voisins.
- Disposer de personnes-ressources dans les territoires, sous la forme d’enseignants ayant une valence scientifique et dont le rôle serait d’aider leurs collègues. Dans cette perspective, une personne-ressource S&T devrait être identifiée dans chaque circonscription.
- Renforcer des dispositifs comme les « Maisons pour la science » ou « Partenaires scientifiques pour la classe », qui consolident l’assurance de l’enseignant et lui donnent souvent envie de se former.
- Encourager la mise en place de projets S&T dans les classes et d’actions mobilisatrices en équipes (défis, concours, projets d’établissements, etc.).
- Développer la relation école/entreprises en proximité pour aider l’école dans ses activités en S&T, mais aussi à mieux s’ouvrir sur son territoire.